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Anorexie, boulimie, obésité… des maux et des mots qui ne sont apparus que récemment mais ont fait une percée fulgurante dans notre quotidien, dans les pays industrialisés mais aussi en voie de développement. Et derrière ces mots, des pathologies graves et des souffrances individuelles lourdes. Comment en est-on arrivé là? Comment notre société contemporaine a-t-elle engendré cette situation? Quelques réflexions et regards croisés.

Texte Wissal Faris · Photos : DR

 

 

Dans notre société où la parole et l’image dévoilent tout, parfois jusqu’à l’excès, impossible de ne pas avoir été touché par les témoignages poignants entendus ici dans un talk-show, là sur un blog ou encore dans ces terrifiants programmes de télé-réalités qui suivent des boulimiques morbides se sculptant un corps d’athlète en quelques mois au travers d’entraînements sportifs et régimes alimentaires amaigrissant extrêmes. Que de larmes, que de cris de haine pour leur corps. Mais comment en est-on arrivé là? Et si les médias et la société d’aujourd’hui favorisaient justement ces troubles alimentaires encore inconnus il y a un siècle.
Les médias exacerbent en effet l’esthétisme, la mode des régimes et la surconsommation.

La minceur vénérée, synonyme de beauté et de réussite
Il faut le reconnaître, les femmes rondes avec des bourrelets sont bien rares dans les magazines féminins, sauf si on aborde le thème de la boulimie! La plupart du temps, les femmes y sont minces, maigres, parfois beaucoup trop maigres. Le message qui est ainsi largement diffusé est qu’une femme belle est forcément mince. Et que dire des magazines people qui se moquent des bourrelets des stars et pointent du doigt leur moindre défaut. Dans le même temps, films et séries distillent également le principe que la minceur est associée à la réussite. L’héroïne à qui tout réussit, qu’elle soit un ange ou une manipulatrice assoiffée de pouvoir, n’est-elle pas la plupart du temps belle et… mince?
Quant aux nouvelles stars du 21ème siècle, les blogueuses, elles soumettent leur silhouette parfaite à leurs followers, parfois de très jeunes filles qui se laissent ainsi entraîner par cette dictature de la minceur, partageant cette croyance que la réussite d’une carrière passe par un corps filiforme. Dans bien des cultures, comme la nôtre ainsi qu’au Moyen Orient ou en Inde, les rondeurs ont toujours été très appréciées, mais la mondialisation est à l’œuvre et les nouvelles générations se plient désormais aux diktats internationaux! Faut-il d’ailleurs rappeler qu’avant l’arrivée du cinéma, les femmes plus enveloppées avaient la cote en Europe et aux Etats-Unis, la minceur étant le signe de pauvreté et de maladie. Cette obsession de la minceur nous incite à être plus exigeants avec nous-mêmes, à rechercher la perfection et le contrôle de son poids et de son alimentation. De plus, elle nous fait croire qu’avoir une vie réussie nécessite d’attacher une grande importance à son apparence physique et donc au regard de l’autre. Un phénomène encore amplifié par les réseaux sociaux. L’exigence, le perfectionnisme, le besoin de tout contrôler et l’importance du regard de l’autre font justement partie des raisons pour lesquelles certaines personnes développent des troubles alimentaires.

 

«Le corps, pris en otage par l’anorexique ou dictateur de la boulimie, est la victime expiatoire d’on ne sait trop quel crime chez l’obèse.»
Docteur Pierre Peuteuil, auteur de «Les corps malmenés»

 

La mode des régimes qui apprennent à manger avec la tête
La dictature du corps parfait a fait fleurir la mode des régimes alimentaires or il est important de souligner qu’aucun régime alimentaire n’est anodin. Les études scientifiques ont bien montré la corrélation entre les frustrations qu’elles engendrent et l’effet yoyo. Dès que vous arrêtez un régime alimentaire très strict, les frustrations qu’il a engendrées conduisent à une reprise rapide, si pas à une augmentation par rapport au poids initial. Certes, on entend de plus en plus de voix s’élever en faveur d’une alimentation saine où les interdictions sont remplacées par des limitations mais elles sont encore rares et se voient submerger par les «régimes express» qui permettent de perdre les kilos en trop juste avant l’été. Or, à force de réfléchir à ce que l’on doit manger ou ne pas manger, de penser à quelle quantité on peut s’autoriser ou non, on finit par ne plus écouter son corps et ses sensations de faim et de satiété. Les frustrations finissent par exploser sous forme de troubles, voire de compulsions alimentaires. Les nouveaux kilos en trop appellent à un nouveau régime et de nouvelles frustrations. La spirale infernale est lancée. Le meilleur moyen de garder son poids de santé est de manger en fonction de ses sensations de faim et de satiété. Pour résumer, il faut apprendre à (ré)écouter son corps et arrêter de manger avec sa tête, car lui seul sait ce dont nous avons besoin. D’ailleurs, si on l’écoutait vraiment, on mangerait beaucoup plus d’aliments sains qui offrent plus de nutriments dont notre corps a besoin. Et bien souvent, si nous avons envie d’aliments gras et sucrés, c’est pour compenser des frustrations ou un mal-être psychologique. Un problème de tête et non de faim.

 

Des chiffres alarmants
L’obésité a atteint les proportions d’une épidémie mondiale, 2,8 millions de personnes au moins décédant chaque année du fait de leur surpoids ou de leur obésité (chiffres de l’OMS datant de mai 2017).
Problème autrefois réservé aux pays à revenu élevé, l’obésité existe aussi désormais dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. À l’échelle mondiale, le nombre de cas d’obésité a presque triplé depuis 1975. Cette pathologie fait désormais plus de morts que l’insuffisance pondérale!
39% des adultes âgés de 18 ans et plus étaient en surpoids en 2016 et 13% étaient obèses (chiffres de l’OMS datant de 2016). A cette date, 41 millions d’enfants de moins de 5 ans et plus de 340 millions d’enfants et d’adolescents âgés de 5 à 19 ans étaient en surpoids ou obèses.

 

La société de consommation nous pousse à manger toujours plus
En parallèle à cette mode de la minceur et des régimes, le fait que nous soyons dans une joyeuse société de consommation n’arrange rien. Nous sommes, toute la journée, encouragés à nous faire plaisir… en ingurgitant des aliments plaisirs. Et comme nous sommes naturellement constitués pour aimer ce qui est gras et sucré, les conséquences sont catastrophiques.
Certaines entreprises l’ont bien compris et créent des aliments les meilleurs possibles au niveau gustatif, en rajoutant des additifs donnant encore plus envie d’en consommer. Combien de biscuits «stars» se voient ajouter une bonne couche de chocolat ou d’hamburgers sont désormais proposés au format XXL ou additionnés d’une double dose de fromage fondu, la version «pour affronter l’hiver» (sic!). Des voix ont beau s’élever pour le bio et une alimentation saine et locale tout en nous mettant en garde contre les biscuits industriels, les plats préparés et les fast-foods, dur, dur de résister. Les grands groupes de l’agro-alimentaire ont d’ailleurs des budgets publicitaires bien plus élevés que les épiceries bio! Et que dire des promotions offertes dans les supermarchés : 2 produits pour le prix d’1 ou 50% sur le deuxième acheté. Une incitation à consommer toujours plus!
Certes la mise à disposition de nourriture en suffisance est un progrès et offre bien des plaisirs mais elle accentue les troubles alimentaires. Les personnes qui souffrent de tels problèmes utilisent en effet l’alimentation pour répondre à un mal-être intérieur. Les aliments gras et sucrés procurant le plus de plaisir gustatif, ils réconfortent le mieux une personne mal dans sa peau ou déprimée. Ils vont donc être privilégiés. Parfois, la seule vue ou la seule pensée de ces aliments suffit à déclencher des besoins irrésistibles de manger.
La grande tendance qui prend chaque année plus d’ampleur et qui milite pour une alimentation plus saine et locale ; qui incite à revenir à des produits de base, non industriels, dans le but d’avoir une bien meilleure santé, sera-t-elle pour inverser les courbes de l’obésité mondiale? Espérons-le. Nous avons tous à y gagner. Notre corps mérite une bonne alimentation.

 

Au niveau mondial, les troubles alimentaires font désormais plus de morts que l’insuffisance pondérale. En clair : aujourd’hui, la malbouffe fait plus de morts que la famine.

 

Pour aller plus loin

Les corps malmenés
L’auteur, Pierre Peuteuil, nous invite à un autre regard, synthétique, sur les déviances alimentaires et les dérives pondérales. Insistant sur la spécificité individuelle de ces odyssées corporelles, aussi tragiques les unes que les autres, ce livre se veut exposition de la problématique, mais également invitation à réflexion sur les raisons multiples des échecs comme des succès thérapeutiques.
Editions Armand Colin

 

A chacun son vrai poids
«Bien sûr, il faut combattre l’obésité. C’est une maladie sérieuse avec de graves conséquences. Mais un discours trop normatif s’avère contre-productif : il stigmatise les corpulents et crée des troubles chez ceux ou celles qui n’ont pas de problèmes mais qui veulent se conformer à la norme», souligne Jean-Michel Lecerf qui va jusqu’à dénoncer le «terrorisme pondéral».
Edition Odile Jacob