fbpx

Etre féministe, un état d’esprit controversé?

By mars 28, 2019 Actu

Parce qu’aujourd’hui comme hier, la lutte pour le droit des femmes est une cause qui mobilise des femmes de tous âges et de tous horizons, nous avons voulu partir à la rencontre de deux d’entre elles. Aux profils bien distincts, elles reviennent avec nous sur leur vision du féminisme au Maroc et ses actions entreprises au quotidien.

 

Aïcha Echenna, fondatrice de Solidarité Féminine.
Figure remarquée de la lutte pour le droit des femmes depuis des décennies,
elle fait partie des fondatrices de l’association «Solidarité Féminine».

 

 

«Ensemble, la main dans la main, nous pouvons changer!  Il faut impérativement commencer à travailler avec les jeunes et à inclure les hommes. C’est à cette seule condition que les mentalités peuvent commencer à change. Les associations doivent continuer à travailler sur le terrain, médiatiser leur cause.»

Comment définiriez-vous votre féminisme?
Mon sentiment est que je me sens beaucoup plus humaniste que féministe. Tout au long de ces années, et ce quelle que soit la cause, mon engagement a toujours été mu par le besoin vital de voir s’instaurer une justice sociale et humaniste pour tous. Pour moi, c’est en cela que réside l’égalité. Ainsi, la démarche de sensibilisation que j’ai entreprise concernant les mères célibataires ne touche pas uniquement les femmes, elle tend également à impacter favorablement les hommes de demain. Car, tout comme les femmes qui les mettent au monde, ces enfants demeurent marqués à vie par les souffrances que cette situation entraîne.

Comment s’est manifesté le féminisme au Maroc?
Même si nous pouvons observer qu’au fil des décennies, le Maroc a connu des phases de régression, j’estime que les femmes ont fait beaucoup de progrès. Peu à peu, elles ont réussi à faire changer les mentalités. On ne le dit pas suffisamment mais elles ont contribué à l’indépendance du Maroc et ont lutté elles aussi sous plusieurs formes. Je me souviens notamment d’un épisode à Marrakech où en 1953, les femmes résistaient en portant la djellaba. Les années 1950 ont été véritablement décisives pour l’évolution du féminisme.

Quelles sont les actions féministes qui devraient continuer à être mises en place?
Selon moi, le féminisme est une série d’actions devant viser à ce que la femme soit indépendante, instruite, autonome financièrement et capable de faire valoir ses droits. Elle ne devrait pas attendre le mariage pour être reconnue par la société. Aujourd’hui, nombreuses sont celles qui ont acquis leur indépendance parce qu’elles le sont également financièrement. Le pouvoir de l’indépendance économique est primordial. Même au sein des négociations intrafamiliales, elles sont capables de défendre la part qu’elles apportent au sein du foyer. Toutefois, il est nécessaire d’avoir pour cela de la personnalité et pour en avoir, il faut se construire grâce à l’instruction, les formations et la psychologie.

 

Les conseils de Aicha ECHENNA aux jeunes femmes souhaitant s’engager dans ce mouvement féministe
Le conseil que je voudrais adresser à la jeune génération est de se prendre en main et de s’individualiser tout en respectant l’autre. Aux jeunes désireux de s’engager, j’aimerais dire que les plus de 50 ans de militantisme que j’ai derrière moi, m’ont convaincue de l’importance de continuer à lutter et à s’exprimer même si, par moment, il m’arrive de douter ou d’avoir peur. Il est également important de ne pas vouloir aller trop vite en besogne. Nous sommes au Maroc, un Etat doté de spécificités culturelles avec lesquelles nous devons composer. Pour être entendues et gagner leur indépendance, les femmes doivent progresser par palier. L’espoir du féminisme aujourd’hui, c’est d’arriver à un juste milieu. En plus d’intégrer les hommes, je pense également qu’il faut inculquer le féminisme dès la racine! La femme qui porte un enfant, doit ensuite l’éduquer de façon à ce qu’il devienne un être humain libre.

 

 

Amal el Amine, coordinatrice des programmes de l’association Droits et Justice.
Représentante d’une jeune génération bien décidée à faire bouger les choses,
elle est notamment engagée dans le combat du mariage des mineures.

 

 

 

«Rien que le mot féminisme sonne pour beaucoup comme une insulte! C’est un terme qui fait peur et qui dérange! Pourtant, on ne demande rien d’extraordinaire. Nous ne sommes pas en guerre contre les hommes, nous réclamons uniquement des droits similaires.»

 

Quelles sont les spécificités du féminisme au Maroc aujourd’hui?
Ce que je constate sur le terrain, c’est que parallèlement au mouvement féministe organisé et encadré, notamment par des associations, de plus en plus de femmes veulent faire entendre leur voix. Vécu individuellement, ce militantisme du quotidien revêt une importance capitale. Les femmes se révoltent face à leur condition. Quant au volet associatif, je constate malheureusement qu’il existe un manque de cohésion entre les générations. Considérées parfois d’arrivistes par leurs aînées, les militantes d’aujourd’hui veulent elle aussi faire leur preuve. Bien que notre approche diffère, nous avons les mêmes buts.

Comment décrire l’implication des jeunes générations dans le mouvement?
De plus en plus de jeunes filles s’impliquent afin de faire bouger les choses et de contribuer au développement du pays. En tant que jeunes femmes, nous allons user de nos compétences et des outils actuels pour mettre en place des actions pratiques et mesurables au quotidien. Nous essayons d’apporter une certaine dose d’innovation aux activités proposées. Par exemple, nous avons travaillé récemment autour de caricatures pour créer davantage d’interactions avec les femmes. Nous organisons également des ateliers qui ont trait à la psychologie et au développement de l’estime de soi. Nous souhaitons vraiment pouvoir apporter des solutions qui sont en en fait des réponses aux problèmes rencontrés sur le terrain ou au sein de nos centres d’écoute.

Quels sont les outils particulièrement actuels favorables au mouvement?
Quand je vois le chemin que les femmes ont déjà parcouru, je demeure optimiste quant à l’avenir. Je suis convaincue que tout ce qui est mis en place finira par porter ces fruits. Aujourd’hui, l’effort individuel peut être amplifié par l’envolée collective que permettent les réseaux sociaux. Même s’ils peuvent s’avérer dangereux pour le féminisme car bien des personnes, sous couvert de l’anonymat, les utilisent pour véhiculer des messages outranciers, force est de constater qu’ils peuvent aussi être un outil de poids pour faire entendre la voix des femmes. Sur Facebook, on voit ainsi l’apparition de nombreux groupes réunissant des femmes de tous les horizons et de tous les âges dont le but est d’encourager l’entraide féminine et d’ouvrir la discussion. Sur Instagram, on voit également l’utilisation de hashtags se destinant à renforcer la confiance et l’affirmation des femmes en tant qu’individu. De même, beaucoup s’expriment et partagent leur détermination sur YouTube. Finalement qu’importe la thématique, d’une façon ou d’une autre, elles se libèrent de leur rôle et s’évadent de leur environnement.