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Sofia Alaoui Réalisatrice et scénariste franco-marocaine.

By mars 21, 2023 Actu, Parents

Du film «Parmi nous» de Sofia Alaoui

La femme qui m’a le plus inspirée est Fatima Mernissi. Elle a fait de grandes choses dans son travail et a permis d’offrir un regard sur la femme marocaine et sur la société marocaine.

 

© Mehdi Sefrioui

Que signifie pour vous la Journée Internationale des Femmes ?
Pour moi, la Journée Internationale des Femmes est très importante, car elle montre chaque année que les droits des femmes ne sont pas à la hauteur de nos espérances, en particulier au Maroc.
Il y a encore beaucoup de progrès à faire et je pense que cette journée devrait être l’occasion de se rassembler autour d’enjeux sociétaux et non pas seulement offrir des roses ou des massages. Il est important que les femmes soient solidaires et qu’elles puissent faire le point sur l’évolution des droits des femmes d’une année à l’autre. Malheureusement, je ne sens pas de véritables progrès d’une année à l’autre. Cette journée permet de faire le point et de se rappeler que nous devons toutes travailler ensemble pour faire avancer les droits des femmes.

Quelle est la femme qui vous a le plus inspiré / vous inspire le plus ?
La femme qui m’a le plus inspirée est Fatima Mernissi. Elle a fait de grandes choses dans son travail et a permis d’offrir un regard sur la femme marocaine et sur la société marocaine. Bien qu’elle appartient à une autre génération, ses idées féministes sont encore très actuelles. Je pense qu’il serait bénéfique de populariser ses livres afin que sa pensée puisse rayonner dans toutes les tranches sociales. Il y a également des femmes qui m’inspirent quotidiennement, qui mènent des combats invisibles et font des choses incroyables à un niveau plus intime.

Selon vous, quel est le plus grand défi du fait d’être une femme aujourd’hui ?
Pour moi, le plus grand défi pour les femmes marocaines aujourd’hui est d’instaurer une véritable sororité.
Nous vivons dans une société patriarcale et conservatrice qui limite les droits de la femme. Malheureusement, certaines femmes ne sont pas solidaires entre elles et reproduisent des schémas, une éducation qui va à l’encontre de leurs intérêts et de leurs droits. C’est pourquoi je pense qu’il est important que les femmes prennent conscience de leur pouvoir et qu’elles rompent avec les schémas patriarcaux qui leurs sont imposés. Elles peuvent le faire en éduquant leurs enfants à penser différemment et à évoluer vers une société plus égalitaire.

Que préférez-vous dans le fait d’être une femme aujourd’hui ?
Ce que je préfère dans le fait d’être une femme aujourd’hui ? Je ne préfère pas de discours trop genrés, mais je pense qu’il y a beaucoup de défis à relever et c’est intéressant. Ce que j’aime dans le fait d’être une femme aujourd’hui, c’est ce que j’aimerais que les hommes soient, à savoir plus sensibles, plus à l’écoute des autres et de soi, plus acceptants de leurs faiblesses. Je pense que, bien qu’il soit important pour nous de prendre une force masculine, il est important que les hommes s’ouvrent plus à ce qui est considéré comme «féminin» aujourd’hui pour trouver un équilibre plus satisfaisant. Je pense qu’il est important de créer des liens entre les deux.

Selon vous, quel est le stéréotype le plus dangereux à propos des femmes ?
Je pense qu’il y a des manières parfois négatives de voir et de juger des femmes fortes. On dit qu’elles sont chiantes, désagréables, hautaines, sautaines quand elles ont un avis tranché et qu’elles s’énervent. On les accuse même parfois d’avoir leurs règles ou d’être hystériques. Et si c’est un homme qui se comporte de la même manière, on dit plutôt qu’il est sûr de ce qu’il veut et qu’il a de l’autorité naturelle. On attend d’une femme qu’elle soit douce et qu’elle n’ait pas d’opinion, ce qui les oblige à s’annuler. Ces stéréotypes sont très forts, mais la femme marocaine a un fort caractère. Cependant, ces stéréotypes nuisent à l’image de la femme qui essaye d’être différente.

Sur quoi auriez-vous aimé être avertie sur le fait d’être une femme ?
Peut-être que j’aurais aimé être avertie de quelque chose… Mais non, je n’ai pas trop d’avis là-dessus. Qu’est-ce que je devrais être avertie ? Avertie de quoi ? Non, parce que je pense que c’est bien d’apprendre et de grandir au fur et à mesure. On a une vision, une idée qui se déconstruit au fur et à mesure. Finalement, être avertie de quoi ? On est averti des choses qui ne changent pas, mais la société est en constante évolution et nous aussi. Avertie par mes parents qui ont une éducation des années 90, je vois déjà des changements quand je regarde les jeunes. Je suis très contente qu’il n’y ait pas de dogme et que les choses évoluent, petit à petit d’une génération à l’autre. Sinon, ce serait dommage que ce soit figé. Non, je ne me sens avertie de rien.

Quels conseils donneriez-vous aux femmes de demain ?
Aux femmes, je dirai de ne jamais céder à la pression d’un groupe. Au Maroc, nous vivons beaucoup en groupe. C’est un petit microcosme, que ce soit au sein de la famille ou dans notre environnement sociétal. Il y a beaucoup de pressions et d’idées préconçues sur ce qu’une femme devrait être. C’est pourquoi il est important de s’émanciper de ce regard extérieur et de la morale de la société qui juge et condamne constamment. Je crois que la liberté réside dans le fait de savoir qui on est et ce qu’on veut être, sans pour autant être rebelle. La rébellion est superficielle et ne mène pas forcément à la liberté. Je constate également que beaucoup de femmes sont frustrées par leurs vies et ne sont pas heureuses. La réponse est donc d’être libre pour trouver le bonheur individuellement.

Pouvez-vous nous parler d’un projet dont vous êtes particulièrement fière ?
Je suis fière des projets que j’ai pu faire car ils nécessitent du temps et de l’investissement. Mon dernier long métrage a gagné le prix du jury à Sundance. Il s’agit d’un film marocain, fantastique et surnaturel qui interroge sur ce que signifie être une femme et un homme dans une société patriarcale et religieuse. J’ai collaboré avec des personnes très engagées, et ce film a aussi révélé de nouveaux acteurs. C’est ce que j’aime le plus dans le cinéma, cette mixité sociale qui permet de porter un discours le plus authentique possible. L’art ne m’intéresse pas s’il est seulement élitiste, car je trouve fascinant de mélanger des regards pour questionner la société.