Entre les adeptes de la méthode globale et ceux de la méthode syllabique, la guerre fait rage. Aujourd’hui, les neurosciences peuvent trancher. L’étude du fonctionnement du cerveau, notamment le mécanisme de la lecture, permet en effet aux scientifiques de donner une réponse pertinente aux enseignants. Mais que faire quand l’apprentissage de la lecture se passe mal? On se tourne vers le docteur Amine Benjelloun, pédopsychiatre et médecin responsable du CAMSP de la Goutte de lait.
Les écrans sont les ennemis majeurs de l’apprentissage dans la toute petite enfance car l’enfant ne manipule plus, il ne joue plus, il n’est plus curieux puisqu’il reçoit tout.
Pourquoi tant d’enfants ont des difficultés avec les b et les d, les p et les q?
Selon Stanislas Dehaene, nous avons tous eu difficile à faire cette différence. Tout simplement parce que les neurones du cerveau que nous utilisons pour la lecture (ceux qui servent initialement à l’identification d’images) sont «programmés» pour généraliser en miroir ce que nous voyons. Sur un visage, un objet dans la nature, l’inversion gauche-droite n’a pas d’influence mais cela change tout en matière de lecture, c’est même totalement inapproprié! Initialement, l’enfant ne «voit» donc pas la différence entre le b et le d, le p et le q. Il doit entendre qu’elles sont différentes ou, mieux, apprendre à écrire, à faire les gestes qui les différencient. Il doit «briser» cette symétrie en mémoire. Une étape à passer vers 5 – 7 ans et qui va voir certains neurones perdre cette invariance en miroir pour acquérir une orientation donnée.
Pour savoir comment bien encadrer son enfant, on se tourne vers le docteur Amine Benjelloun
Comment aider l’enfant dans son apprentissage de la lecture?
Les apprentissages ne commencent pas au niveau CP. Le préscolaire est là pour développer la coordination occulomotrice, la coordination du corps dans son ensemble, la discrimination auditive… ainsi que la psychomotricité fine de l’enfant (notamment le traçage de cursives, des déliés). Il n’y pas de lecture possible sans apprentissage préalable de l’écriture! Aux parents de prendre aussi le relais à la maison par des jeux, des puzzles, des encastrements… Attention cependant aux écrans. Ils sont les ennemis majeurs de l’enfant durant cette période. En effet, ils inhibent les capacités d’apprentissage en suscitant la passivité : l’enfant ne manipule plus, il ne joue plus, il n’est plus curieux puisqu’il reçoit tout.
Outre les écrans, qu’est-ce qui explique les difficultés de certains enfants?
Certains n’ont pas été suffisamment stimulés, d’autres au contraire ont été soumis à trop de pressions, le stress engendré inhibant les mécanismes qui concernent les apprentissages. Pour apprendre, il faut aimer et il faut être aimé. Le travail des parents est de donner confiance; celui des enseignants est de transmettre avec attention et affection. Le CP est l’année la plus difficile de tout le cursus scolaire. Elle est plus dure que le concours à Polytechnique! En effet, jamais plus l’enfant ne devra faire un tel effort cognitif. En une année, voire en deux années, on lui demande de réussir trois révolutions : apprendre à écrire, à lire et à compter.
A partir de quel âge, les parents devraient consulter pour identifier un trouble DYS?
On peut se donner jusqu’à la fin du CE1 avec des parents attentifs, stimulants et joueurs, et des enseignants tout aussi intéressés et impliqués et qui ne stressent pas l’enfant. Si toutes ces conditions de travail et d’apprentissage cognitifs, affectifs et éducatifs sont là et que malgré tout l’enfant, fin CE1, éprouve toujours de graves difficultés, on est en droit de penser à un trouble DYS.
Quel comportement adopter en cas de trouble DYS?
D’abord, il faut poser le diagnostic, ce qui est de la compétence de l’orthophoniste, du psychomotricien et du neuropsychologue, du pédopsychiatre au pédiatre, qui vérifieront qu’il n’y a pas de déficience auditive, visuelle éventuelle. Les bilans adéquats devraient être réalisés sous couvert du pédopsychiatre, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas chez nous. Ils sont l’étape préalable avant une prise en charge harmonieuse mobilisant la famille et l’enseignant. Ce dernier se doit d’être attentif et à l’écoute. Il devrait veiller à travailler de concert avec la famille, ne pas stigmatiser l’enfant et éventuellement se coordonner avec les professions paramédicales qui sont en charge.
Comment lit notre cerveau?
L’imagerie neurologique montre que nous utilisons, pour la lecture, la même zone du cerveau que celle qui permet d’identifier une image ou un objet. Les études actuelles tendent à démontrer, ainsi que le souligne le docteur Stanislas Dehaene du Collège de France, que le système reposerait sur une hiérarchie neuronale, chaque neurone étant apte à identifier des éléments de plus en plus complexes suivant leur position sur la pyramide. Au plus bas niveau, des neurones reconnaissent des traits élémentaires. En combinant leurs réponses, on peut reconnaître des jonctions de traits. A «l’étage suivant», des neurones vont reconnaître des lettres élémentaires, un «E» ou un «e». En combinant leurs réponses, on est capable de reconnaître un «e» quel que soit sa forme. Un cran plus haut, les neurones bigrammes vont reconnaître des combinaisons de lettres, par exemple un «e» à la gauche d’un «m». Plus haut encore, on commence à reconnaître des morphènes, c’est-à-dire des combinaisons de lettres qui ont un rôle significatif pour reconstruire le sens des mots, par exemple «ment» qui annonce un adverbe.
Cette structure permet donc aux scientifiques d’encourager l’apprentissage de la lecture par la méthode syllabique.