fbpx

Patients isolés par la loi : l’autre combat

By octobre 25, 2025 Parents

Et si la maladie devenait le motif d’une double rupture : avec la santé, mais aussi avec l’emploi ? L’article 272 du Code du travail marocain prévoit en effet qu’un salarié en arrêt de longue durée – au-delà de six mois – peut être considéré comme ayant rompu son contrat. Une règle administrative aux effets dévastateurs : emploi perdu, revenus interrompus, couverture sociale fragilisée. Derrière le texte, des vies basculent — des femmes et des hommes sommés de choisir entre se soigner et rester à leur place dans la société. Des associations commencent à se mobiliser

 

«Préserver le travail, c’est aussi accompagner la guérison.»
Dr Mounir Bachouchi

Quand la loi transforme la maladie en faute
Une chimiothérapie, une dialyse, une greffe, une rechute : dans la vie réelle, ces traitements lourds peuvent durer de nombreux mois, ce dont ne tient pas compte le calendrier du Code du travail. La loi est stricte : après 180 jours consécutifs d’absence pour raison médicale, l’employé est réputé avoir « rompu son contrat », comme s’il avait démissionné. Pas de procédure, pas de recours automatique, pas de circonstances atténuantes. Ce dispositif, pensé à une époque où la maladie était perçue comme un accident ponctuel, frappe aujourd’hui de plein fouet des milliers de Marocains atteints de pathologies chroniques ou invalidantes. Ce n’est pas une démission, c’est une éviction, tel est le message des associations qui ajoutent que la loi ne voit pas le malade, elle ne voit qu’un poste vacant.

Une double peine pour les plus fragiles
Être malade, c’est déjà perdre des forces, des repères, parfois une part de soi. Ajouter la perte d’emploi, c’est faire vaciller tout l’équilibre familial. Sans salaire, de nombreux patients perdent leur couverture de la CNSS et basculent vers un régime de solidarité aux démarches longues, aléatoires et souvent décourageantes. Les dossiers s’accumulent, les remboursements tardent, les traitements s’interrompent. Le Dr Mounir Bachouchi, oncologue et président de la Moroccan Association of Supportive Care in Cancer (MoASCC), alerte : « Le Code du travail pousse vers l’exclusion professionnelle une population en croissance constante : les malades chroniques et les patients atteints de cancer. » Une loi conçue pour encadrer finit alors par punir, fragilisant celles et ceux qu’elle devrait protéger.

Des associations au front du changement
Depuis plusieurs mois, des organisations comme Dar Zhor et la MoASCC multiplient plaidoyers et rencontres avec les décideurs pour revoir cette disposition. Leur demande est simple : reconnaître la maladie grave comme une suspension temporaire du contrat, et non comme une rupture sèche. Une telle mesure maintiendrait le lien juridique entre employeur et salarié, préserverait les droits de la CNSS et sécuriserait un retour au travail dès que l’état de santé le permet.
Les associations veulent aller plus loin : elles appellent aussi à protéger les salariés contre tout licenciement pendant la période de traitement, et à aménager le temps de travail pour les patients en soins, par exemple en instaurant des horaires flexibles ou un retour progressif à l’activité. « Un malade n’est pas un démissionnaire », insiste la Dr Myriam Nciri, fondatrice de Dar Zhor. « C’est un citoyen qui se bat pour sa vie et mérite d’être soutenu, pas effacé. » Les associations plaident également pour un droit de recours clair, une procédure médicalement encadrée et une politique de réinsertion adaptée aux longues maladies. Ce combat dépasse le cancer : il concerne toutes les affections lourdes, de la sclérose en plaques à l’insuffisance rénale.

Changer la loi pour changer les perspectives
Réformer l’article 272 ne fragilise pas les entreprises, soulignent les associations dans leur plaidoyer, elle humanise le droit et l’aligne sur la réalité : un corps ne guérit pas à échéance fixe. Une approche protectrice – suspension du contrat plutôt que rupture, maintien des droits sociaux, accompagnement, aménagement du poste, parcours de réinsertion – enverrait un signal clair : santé et emploi peuvent coexister.
Dans un pays où plus de 4 millions de salariés dépendent du secteur privé formel, l’enjeu est majeur : bâtir un Code du travail qui ne se contente pas d’administrer des contrats, mais qui protège des trajectoires de vie. Une société ne se mesure-t-elle pas à la façon dont elle traite ses plus vulnérables ? Pour nombre d’associations, cette réforme relève de la dignité.

 

Pistes d’avenir

– Droit de recours clair et accessible pour les salariés malades
– Dialogue tripartite entre ministère du Travail, CGEM et associations
– Aides fiscales pour les entreprises qui maintiennent l’emploi en cas de maladie longue
– Intégration du droit à la réinsertion dans la future réforme du Code du travail
– Aménagement du temps de travail pendant les traitements, encadré par avis médical

 

Chiffres clés

64 000
nouveaux cas de cancer diagnostiqués chaque année au Maroc (Globocan 2022)
4,1 millions
de salariés couverts par le Code du travail
180 jours
durée maximale d’arrêt maladie avant rupture automatique du contrat
0 dispositif
spécifique pour les maladies longues