
Entre peur de l’échec, attentes élevées et pression sociale, de nombreux parents finissent par orienter inconsciemment leur enfant. Salma Ouazzani Taybi, psychologue, décrypte les mécanismes psychologiques à l’œuvre et explique comment accompagner un adolescent sans prendre le contrôle sur son avenir.
«L’hésitation est normale : elle fait partie du développement de l’adolescent, il faut la dédramatiser.»

Pourquoi certains parents finissent-ils par choisir à la place de leur enfant ?
Dans la majorité des cas, il ne s’agit pas de contrôle mais de protection. Psychologiquement, plusieurs dynamiques entrent en jeu. Il y a d’abord le besoin de sécurité : un parent qui veut s’assurer que son enfant aura un avenir stable associe souvent «bonne orientation» à «voie sûre». S’ajoute un phénomène très courant : la projection. Le parent place en l’enfant ses propres rêves non réalisés ou cherche à éviter des chemins qui ont été difficiles pour lui.
Enfin, la peur de l’échec joue un rôle important. Dans une société où la réussite scolaire semble déterminante, choisir pour l’enfant devient un moyen de calmer l’anxiété parentale. Le problème, c’est que cette intention protectrice peut empêcher le jeune de se connaître et de s’explorer réellement.
Les conseils de la pro
Pour que l’ado garde sa place dans son propre avenir :
– Remplacer «fais ceci» par «qu’est-ce qui te parle le plus ?»
– Éviter les comparaisons avec d’autres jeunes
– Valider les émotions :
«je comprends que tu hésites, c’est normal»
– Rappeler qu’on peut se tromper… et se réorienter
– Donner un espace où le jeune peut parler sans être jugé
Quels signes montrent qu’un ado ne choisit plus pour lui-même ?
On observe d’abord un discours «formaté» : l’adolescent répète ce que la famille valorise, mais ne parle pas de ce qu’il ressent. Un autre signe marquant est la déconnexion entre sa personnalité et la filière choisie : un jeune très créatif qui s’inscrit dans une filière ultra-théorique «parce que c’est sérieux», par exemple.
La peur de décevoir est également très présente. Le jeune hésite à exprimer ses doutes, minimise ses envies ou dit systématiquement : «Mes parents veulent…».
On voit aussi une hyper-adaptation : il fait «les bons choix» pour maintenir la paix familiale, mais pas pour se construire. C’est une loyauté invisible… mais lourde.

«Être un parent guide, ce n’est pas choisirà la place de son enfant, mais l’aide à se découvrir.»
Quels impacts psychologiques quand l’orientation est imposée ?
L’impact est réel et souvent sous-estimé. Le premier effet, c’est l’anxiété : le jeune travaille avec la peur d’échouer, ce qui épuise la motivation. Ensuite, l’estime de soi se fragilise. À force d’entendre implicitement «on sait mieux que toi ce qui est bon pour toi», l’adolescent finit par douter de son propre jugement. Cela peut mener à de l’auto-sabotage inconscient : échouer pour reprendre le contrôle, ou pour sortir d’une voie qui ne lui appartient pas. À long terme, on observe des réorientations tardives, des abandons, ou un sentiment d’errance identitaire. Une orientation imposée laisse rarement un adolescent indemne.
Bon à savoir
Ce que le parent peut faire… sans s’en rendre compte
Vouloir rassurer. Vouloir bien faire.
À force d’anticiper, d’expliquer, de baliser, le parent peut prendre une place qui n’est pas la sienne.
L’adolescent apprend alors à répondre aux attentes plutôt qu’à écouter ce qui l’anime réellement.
Soutenir, ce n’est pas montrer la direction, mais créer un cadre suffisamment sécurisant pour que le jeune ose choisir.
Comment soutenir un enfant dans ses choix, même s’il hésite ?
La clé, c’est la posture : être un guide, pas un décideur. Tout commence par des questions ouvertes : «Qu’est-ce que tu imagines ?», «Qu’est-ce qui t’attire?» au lieu de proposer des solutions toutes faites. L’hésitation est normale : elle fait partie du développement de l’adolescent, il faut la dédramatiser.
Encourager l’exploration est essentiel : portes ouvertes, stages, rencontres… Ce sont ces expériences qui éclairent réellement un projet.
Le parent peut exprimer ses inquiétudes, mais sans imposer : «J’ai une crainte sur… mais j’aimerais comprendre ton point de vue.»
Ce dont un adolescent a le plus besoin, c’est de sentir qu’on lui fait confiance pour construire sa propre vie. Ce message vaut plus que n’importe quel conseil.
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