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Parents connectés à Casablanca : une vie de famille sous influence numérique

By juin 5, 2025 Parents

Ils sont cadres, entrepreneurs, enseignants, professions libérales. Ils vivent entre Sidi Maarouf, Racine, Californie ou Gauthier. Et ils jonglent au quotidien avec l’école numérique en devenir, les groupes WhatsApp de classe, les applis de santé ou d’activités. Dans ces foyers casablancais en quête d’efficacité, le numérique est en train de redessiner les contours de la vie familiale. Non sans tensions.

 

Pour celles et ceux qui en maîtrisent les codes, la question n’est plus comment utiliser les outils, mais comment ne pas s’y soumettre.

Casablanca n’est pas encore une ville totalement numérisée — mais elle avance à grands pas. Dans plusieurs écoles privées et établissements bilingues, les premières plateformes éducatives font leur apparition. Certaines classes utilisent des cahiers de textes en ligne, d’autres expérimentent des applications de communication école-parents.Mais cette évolution reste partielle, inégale selon les établissements, et souvent dépendante de la volonté individuelle des enseignants ou des directions. Les outils numériques sont là, mais leur usage reste encore loin d’être homogène ou systématisé. Leila, mère de deux enfants en école internationale, nuance : »On reçoit les devoirs par mail ou WhatsApp, parfois sur une appli. Mais ce n’est pas encore très structuré. On sent que ça tâtonne. »

Le numérique, un outil qui libère aussi
S’il bouscule les repères, le numérique est aussi porteur de solutions concrètes. Il permet de gagner du temps, de faciliter les échanges, de rendre visible l’invisible.
Samira, consultante, en témoigne :
« Grâce aux outils de suivi scolaire, je suis plus proche de ce que vivent mes enfants à l’école. Avant, je dépendais des carnets qu’ils oubliaient de signer. Maintenant, je peux poser les bonnes questions au bon moment. »
La technologie permet aussi de rester connectés malgré les emplois du temps éclatés : un message de soutien dans la journée, une photo envoyée entre deux réunions, un partage de playlist avant le dîner.
Des gestes numériques, mais chargés d’affection.

Malika, 39 ans, Anfa
« Connectée mais absente »
« Le numérique me donne l’impression de tout contrôler : les horaires, les devoirs, les repas. J’ai tout dans mon téléphone. Mais à la fin de la journée, j’ai la tête vide et le cœur un peu lourd. Je réalise que je suis connectée aux tâches, pas toujours à mes enfants. Alors, j’essaie de m’imposer des moments de vraie présence, sans écran. »

Une parentalité managériale ?
Pour beaucoup de familles, le numérique est devenu l’ossature invisible de leur quotidien. Leila, avocate, vit dans le quartier Racine. Chez elle, la logistique familiale ressemble à une PME.
« Tout passe par Google Agenda : les activités des enfants, les rendez-vous médicaux, les réunions d’école. C’est efficace. Mais parfois, je me rends compte qu’on ne se parle plus, on se synchronise. »
Même constat chez Yassine, ingénieur à Sidi Maarouf :
« J’ai optimisé nos journées avec des outils pros : Trello pour les tâches, une appli pour les repas. Mais à force d’optimiser, je me demande ce qu’on perd en spontanéité. »
Ce besoin d’anticipation numérique, souvent hérité du monde du travail, transforme la parentalité en gestion de flux. Et l’humain en arrière-plan ?

Éduquer à l’ère numérique, c’est aussi apprendre à résister à l’instantanéité, à réhabiliter l’attention, et à redonner sa juste place au silence.

Yassine, 43 ans, Californie
« Lâcher l’écran, écouter mieux »
« La technologie m’aide clairement à structurer la maison. En période d’examens, je sais qui fait quoi, à quelle heure. Mais je sens que ça m’a éloigné du plaisir de simplement être là. Alors je m’oblige à lâcher le téléphone une heure avant le dîner. Et juste écouter. C’est fou comme les enfants parlent quand on les regarde vraiment. »

Le numérique et la charge mentale invisible
La digitalisation progressive du foyer familial génère aussi une nouvelle forme de charge mentale, plus difficile à nommer.
Malika, responsable marketing dans une multinationale, en fait l’expérience au quotidien :
« Je réponds à des messages scolaires à 22h, je télécharge des pièces jointes la nuit, je pense à vérifier les devoirs dès le réveil. Et tout cela, sans jamais zCe flux ininterrompu d’informations, de rappels, d’alertes… installe une pression permanente, même (et surtout) à la maison.
Une pression souvent invisible, mais bien réelle.

Petit guide familial
1. Créez des rituels de déconnexion
Choisissez un soir sans écran chaque semaine. Allumez des bougies, cuisinez ensemble, lisez, jouez. Faites-en un moment attendu.
2. Gérez les notifications
Filtrez les groupes WhatsApp scolaires. Désactivez les alertes inutiles. Fixez un créneau horaire pour répondre aux messages.
3. Réservez des espaces sans écrans
Table à manger, chambre des enfants, salle de bain : faites-en des zones de respiration numérique.
4. Remplacez les applis par des outils simples
Un calendrier mural ou un tableau effaçable peuvent suffire à organiser la semaine sans alourdir la charge mentale digitale.
5. Offrez du « temps plein air »
Rien ne remplace une marche au parc, une sortie nature, un moment partagé sans signal Wi-Fi.
6. Parlez-en avec d’autres parents
Les cafés-parents, les rencontres en école, ou même les petits groupes entre voisins peuvent aider à relativiser et échanger des idées concrètes.

Des enseignants eux-mêmes saturés
Dans une école internationale du centre-ville, une enseignante de CE2 témoigne sous anonymat :
« Je passe autant de temps à répondre aux mails et messages qu’à corriger les copies. Les parents attendent une réactivité immédiate, parfois à minuit. On est en train de perdre toute mesure. »
Le numérique facilite, mais rend aussi les frontières floues. Et parfois, la relation école-famille bascule dans l’instantanéité tendue, où chacun a accès à tout, tout de suite.

Réapprendre à se retrouver
Face à ce trop-plein digital, une contre-tendance discrète mais croissante émerge : celle du ralentissement conscient.
Chez Samira, consultante en innovation, on a instauré un rituel hebdomadaire :
« Le mercredi soir, on éteint tout. On cuisine ensemble, on parle, on lit. Ce moment est devenu sacré. »
Même logique chez Leila, qui a imposé un « dimanche offline » :
« Ce jour-là, on fait du vélo, on va au parc, on laisse les téléphones dans une boîte. On respire autrement. »
Ces micro-révolutions ne demandent ni budget ni technologie. Juste un choix.

Samira, 41 ans, Gauthier
« Éteindre pour mieux vivre »
« J’ai appris à dire stop. Même aux mails de l’école. Non, je ne réponds plus après 20h. Et surtout, j’ai expliqué à mes enfants pourquoi. Ils me voient faire, et je les vois aussi s’autoriser à éteindre. C’est un soulagement. La technologie est utile, mais elle ne doit pas nous voler nos soirées. »