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Notre enquête : QU’EST-CE QU’ÊTRE UNE FEMME MAROCAINE EN 2019?

By mars 27, 2019 Bien-être

Quinze années ont passé depuis la dernière réforme de la Moudawana (2004), autorisant les femmes marocaines à demander le divorce. Un acte fondateur pour l’émancipation féminine, mais encore insuffisant aux yeux des militant(e)s féministes. Pourtant, ces dernières années, les femmes semblent s’être progressivement affranchies de certaines normes sociales, connaissent mieux leurs droits et revendiquent davantage leur liberté individuelle. Mères célibataires, femmes remariées, chef d’entreprises, étudiantes vivant seules… A quoi ressemble la femme marocaine de 2019? Etat de lieux.

Texte Rim Keddabi · Photos DR

Jeudi soir, 19 heures, sortie des bureaux, les terrasses de café qui bordent la corniche casablancaise sont remplies de jeunes femmes. C’est l’heure de l’«after-work». Aujourd’hui, au Maroc, 22% de la population féminine a un emploi salarié : un vecteur d’émancipation très fort pour ces dernières, bien qu’il concerne principalement les femmes vivant dans les villes. Avec un taux de scolarisation en hausse chez les filles (55% des filles poursuivent leurs études secondaires contre seulement 39% chez les garçons) et qui s’est même généralisé chez les moins de 10 ans (plus de 96% des 6-11 ans sont scolarisées), les femmes marocaines étudient plus, plus longtemps et sont de plus en plus nombreuses à intégrer le monde du travail (principalement dans les villes). «Ce sont elles qui ont les meilleures notes et qui accèdent aux meilleures écoles par concours; et en 2019, elles ont accès aux mêmes postes à responsabilité que les hommes», souligne la sociologue Soumaya Naamane Guessous. Depuis juillet 2018, elles peuvent même devenir adoul, ce qui achève de faire tomber un grand tabou dans les disparités professionnelles hommes-femmes. Celles qui ne sont pas salariées, restent quant à elles un élément économique très important, surtout dans le secteur informel.

Sur la voie de l’indépendance
Qui dit allongement de la scolarité des filles, dit aussi allongement du célibat et recul de l’âge du mariage. On estime à 28 ans, l’âge du mariage chez les femmes, et à 31 ans chez les hommes, selon les derniers chiffres. Les femmes éduquées cherchent du travail et l’accès à un certain confort de vie. Elles ne sont plus obligées de se marier le plus rapidement possible et de fonder une famille puisqu’elles peuvent rester chez leurs parents, le temps de finir leurs études et de trouver un emploi. Leur indépendance économique leur permet donc d’attendre le moment opportun pour fonder un foyer. Certaines d’entre elles quittent même leur nid familial, en fonction de leurs affectations universitaires et vivent seules dans les grandes villes. Un phénomène récent et qui tend à s’intensifier.

Le droit de choisir
Mais la plus grande évolution réside sans doute dans le fait qu’elles sont aujourd’hui en mesure de choisir leur mari. «Elles ont un idéal masculin et cela ne les dérange pas de patienter jusqu’à trouver celui qui correspond à leur désir», explique madame Guessous. En plus de ce droit à choisir, elles contrôlent davantage leur reproduction puisque «le nombre d’enfants par femme est tombé à deux». Une diminution des naissances qui laisse plus de temps à la femme, pour s’occuper d’elle et s’épanouir, à mesure que «la notion de plaisir et de jouissance prend une place plus importante dans son quotidien et dans son affirmation en tant qu’individu.» Qu’elles soient chefs d’entreprise, sportives de haut niveau, femmes politique, ou qu’elles s’engagent dans des reconversions professionnelles, les femmes ont de moins en moins peur de suivre leurs désirs. «Elles ont des rêves qui correspondent à leurs propres vies de femmes émancipées. Elles savent ce qu’elles ne veulent pas.» Du côté de leur vie sentimentale, «elles ont aussi davantage de relations amoureuses et sexuelles.» Et si elles sont en mesure de choisir leur mari, elles sont aussi en mesure de demander à le quitter depuis la réforme du Code de la famille de 2004, qui les autorise à demander le divorce. «Elles le demandent mais surtout, elles l’assument. Elles l’assument vis-à-vis de la société, ce qui n’est pas toujours évident. Elles assument de devenir mères célibataires et de subvenir aux besoins de leur famille s’il le faut», insiste Soumaya Naamane Guessous.

Prise de conscience et mobilisation
Si l’on peut sans conteste démontrer que la femme marocaine s’est affirmée et émancipée au cours des dernières décennies, il n’en reste pas moins qu’elle est encore largement victime de sexisme. Grâce à internet, les femmes ont pris connaissance d’autres modèles de relations hommes-femmes et ont des éléments de comparaison venus du monde entier qui les poussent à se révolter contre le système traditionnel. Nombre d’entre elles se sont d’ailleurs mobilisées ces dernières années pour combattre le patriarcat, que ce soit par la mise en place de réseaux d’entraides (éclosion d’associations aidant les mères célibataires ou les femmes battues par exemple) ou par des actions de lutte sur le terrain, à l’image du collectif Masaktach. Ses militantes ont distribué plus de 15.000 sifflets en une journée, dans plusieurs villes du Royaume, et invité les femmes à siffler dès lors qu’elles sont victimes de harcèlement de rue. «Ila dsser seffri» est leur mot d’ordre. Cette campagne a pour but de sensibiliser les femmes à la nouvelle loi contre les violences faites aux femmes (103-13), entrée en vigueur en 2018, qui pénalise le harcèlement sexuel (les harceleurs encourent de 1 à 6 mois d’emprisonnement et de 2.000 à 10.000 dirhams d’amende). Si Soumaya Naamane Guessous s’en félicite, elle en pointe néanmoins les nombreuses failles : «Comment prouver le harcèlement? Quels sont les recours? L’application de la loi sera-t-elle effective? Il faudrait que la population devienne elle-même garante de cette loi, mais les témoins de harcèlement sont encore très peu à intervenir.» Et de déplorer que la loi ne pénalise pas non plus ce grand fléau qu’est le viol conjugal. Fin 2018, il avait été reconnu pour la toute première fois, par un juge, à Tanger, mais le jugement vient d’être annulé, en appel. Le combat est loin d’être terminé.

Chiffres clés
On compte environ 17,3 millions de femmes au Maroc.
58,8% des femmes sont alphabétisées en 2015 (Indexmundi).
63% des femmes marocaines reconnaissent avoir été victimes de harcèlement sexuel (ONU Femmes).
30.000, c’est le nombre de petites filles exploitées dans des maisons pour effectuer le travail domestique (ONU Femmes, 2015).
1/3 des postes de cadres sont occupés par des femmes en 2018 (Haut Commissariat au Plan, 2018).
10 à 12% des entrepreneurs marocains sont des femmes (rapport du BIT, 2018).