Journaliste et personnalité engagée dans la promotion de la culture et la question féministe, Fedwa Misk vient de sortir son premier ouvrage. À travers les actes de sa pièce de théâtre, elle nous emmène à la rencontre de cinq femmes, à l’histoire et au destin divers, ayant pour point commun de porter une blessure impactant leur féminité. Avec sincérité et transparence, leurs monologues tendent à assainir les relations mère-fille et à envisager un amour prenant en considération les différentes dimensions de la mère.
Quelle est la genèse de l’ouvrage?
J’ai toujours eu envie d’écrire un livre mais je n’aurais jamais pu imaginer que ce serait une pièce de théâtre, de surcroît, aussi intime. Avant d’être une œuvre créative, « Nos mères » repose sur une production thérapeutique que j’ai entreprise plus de 7 ans après le décès de ma mère. Même après ces longues années, je conservais le sentiment que je ne lui avais pas tout dit. J’ai alors commencé à mettre sur papier ce que j’aurais dû lui confier sur son lit d’hôpital. Ce monologue a donné naissance au second acte de l’ouvrage.
Pourquoi avoir choisi le format d’une pièce de théâtre?
Lors d’une table ronde consacrée à la maternité, organisée dans le cadre d’un festival à Amsterdam, j’ai eu l’occasion de partager mon texte avec le public. Au fil de la lecture, j’ai été stupéfaite de voir l’émotion qu’il provoquait. Ce moment d’échange m’a permis de saisir l’universalité de la thématique mais aussi la portée de l’oralité. Par la suite, j’ai ressenti le besoin de dépasser le cadre de ma propre histoire et d’aborder différents aspects de la maternité et des relations mère-fille. J’ai fait le choix de conserver le format du monologue car il permet de présenter un récit intime sans fioriture, où la vérité est mise à nu presque sans effort. En outre, ce format assure aux lecteurs de se glisser aisément dans la peau de chaque personnage.
Cinq femmes prennent la parole, que révèle leur profil?
À travers les histoires de Maria, Imane, Fedwa, Hanane et Samira, j’ai voulu mettre l’accent sur un trait particulier des relations mère-fille : la culpabilité, la rivalité, le désamour, la transmission. J’ai tenu à ce que mes personnages soient complètements fictifs et découlent d’une composition minutieuse. J’aurais pu en écrire des dizaines mais mon but n’était pas d’être exhaustive, au contraire. J’avais pour seule visée que ce texte puisse être un support propice à la réflexion et suscite, pourquoi pas, l’échange et le dialogue.
Ce livre est-il un appel au changement éducatif?
J’estime que c’était un sujet à traiter parce qu’il est plus que temps de briser la sacralité qui entoure la maternité au Maroc. Toutefois, il ne vise en aucun cas à faire le procès des mères! Il a touché beaucoup de monde, a été le prétexte à des discussions profondes et à des échanges très intimes, y compris chez les hommes. Je n’ai pas d’ambition particulière pour mon livre, j’espère qu’il pourra permettre aux lecteurs et aux futurs spectateurs de se poser des questions et de prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls à passer par des moments de troubles.
Dans l’ouvrage, il est également question de transmission, peux-tu nous en dire plus?
Effectivement, le dernier acte de l’ouvrage tend à souligner que toutes les femmes sont porteuses de blessures et qu’elles sont susceptibles de les transmettre. Dans le processus de construction de notre féminité, le premier modèle auquel nous nous identifions, c’est notre mère. Nous absorbons tout, ce qu’elle veut nous transmettre, mais aussi ce qu’elle préfèrerait garder pour elle, ses propres blessures. Aujourd’hui, je pense que nous avons l’avantage d’avoir plus facilement accès aux outils de développement personnel et de psychologie. C’est une chance car cela peut permettre aux mères comme aux filles de se remettre en questions et de travailler à l’acceptation et à la guérison de leurs blessures respectives.
Qu’en est-il de la traduction et de la mise en scène de la pièce?
La traduction en darija apporte un ton un peu plus acerbe à mon propos. J’ai pris conscience de la charge culturelle de la langue car même en choisissant mes mots avec précaution, il m’était parfois difficile de formuler les choses de manière adéquate. Quant au passage sur les planches, j’aspire à ce que la mise en scène apporte encore une autre énergie au texte et que les comédiennes le teintent de leur sensibilité.
«Très chère maman, il y a quelques jours, j’ai appris que tu faisais partie des parents «hélicoptères». Ceux qui continuent toute leur vie durant à planer au-dessus de la vie de leurs enfants, les empêchant de grandir. Je suis tombée sur cet article providentiel dans un magazine chipé chez mon psy. Ca m’a évité de le payer du coup. Ce fut, pour moi, comme une révélation, tant j’ai vécu dans ton ombre toute ma vie. En plus, tu voles tellement bas, que tu ne me laisses aucune possibilité d’apercevoir mon propre horizon. J’ai donc décidé de faire diversion et de prendre le large dès que tu auras le dos tourné.» extrait