Sorti au début de la saison estivale, « Le Premier Été » nous plonge dans l’insouciance et l’intensité des années 1980 à travers les yeux de Tanina, une adolescente vibrante, qui va vivre, au milieu de ses cousins et cousines un été inoubliable. Un roman à la fois joyeux et profond porté par une plume vibrante d’émotion qui nous a donné envie de rencontrer son auteur, Noor Ikken. Elle partage avec nous ses réflexions sur l’adolescence et les défis auxquels sont confrontés les jeunes d’aujourd’hui.
Dans les années 80, les adolescents se donnaient de la valeur à travers leurs actions, leurs actes. Ils se démarquaient par leur pensée, leur particularité.
Qu’est-ce qui vous a inspiré pour l’écriture de «Le Premier Été» ?
J’ai observé une adolescente qui courrait sur la plage et je me suis souvenue de mes cousines et moi au même âge. C’était surtout l’insouciance que la jeune fille dégageait qui a été une sorte de moment suspendu entre présent et passé me ramenant à l’époque où je n’étais moi-même que totale insouciance. Elle me ramenait à mon adolescence dans les années 80 et cela m’a donné envie de raconter une fiction qui se déroulerait pendant ces années-là.
L’adolescence est omniprésente dans votre roman. Quelle est, pour vous, la particularité de cette période ?
C’est une période pleine d’impétuosité, de rêves, d’illusions, de révoltes et surtout de certitudes. Les adolescents pensent que la vie est encore longue et qu’ils ont compris l’existence mieux que leurs parents, que rien n’empêchera leurs rêves d’être réalisés. C’est une particularité qu’on pourrait appeler une force de vie, un état d’être que leur offre la nature pour leur permettre le passage de l’innocence de l’enfance à la réalité plus pragmatique des adultes tout en leur faisant perdre en douceur leurs illusions.
Quels sont les principaux défis auxquels les adolescents sont confrontés aujourd’hui, comparativement à ceux des années 1980 ?
Dans les années 80 et jusqu’au début des années 90, l’ennui n’était pas un terme négatif, bien au contraire. Il nous poussait à lire, à observer, à réfléchir et à nous satisfaire des plaisirs simples. Malheureusement, les adolescents d’aujourd’hui sont confrontés à une virtualité qui est en train de devenir leur réalité. Le reflet qu’ils voient d’eux-mêmes à travers leur écran est devenu, pour eux, leur véritable identité. La virtualité les oblige à être constamment dans la comparaison et leur fait perdre de vue leur individualité, tout comme elle n’encourage pas la réflexion. Il est ainsi plus facile de se laisser entraîner par le flux d’opinions communes et générales que de se faire son propre avis mené par sa propre réflexion. La futilité est devenue la norme, lire, apprendre, s’instruire est dépassé ou alors il faut que ce soit à petite dose ou sous forme d’Instagram ou de TikTok.
Les parents, qui sont supposés surveiller les adolescents ne voient pas grand-chose…
Les parents sont épuisés par une année de travail et n’ont plus la force de contrôler leurs enfants. Ils offrent indirectement un espace de liberté aux adolescents qui vont se faire une joie d’en profiter. Heureusement que cette semi-liberté existe, il faut bien que « jeunesse se passe » et que bêtises se fassent, c’est un processus naturel de transition pour devenir adulte sans trop de frustrations et ni de regrets.
Les parents s’avèrent aussi protecteurs (taisant certains secrets de famille ou blessures)…
Je crois que les parents se bercent d’illusions quand ils pensent que se taire protégera les adolescents des secrets ou des blessures. Ils perdent de vue l’intelligence de leurs enfants et leur capacité à deviner ce qui est caché ou tu.
Les jeunes comprennent instinctivement le poids du secret dans les silences qui s’installent, les regards qui interdissent, les voix qui se baissent ou les confidences qui les écartent.
Je suis d’avis, pour l’avoir vécu personnellement, qu’un fait, même considéré comme difficile à dire, devient quelque chose de normal lorsqu’il est dévoilé tôt à un enfant, surtout avant son passage à l’âge adolescent où la critique et l’intransigeance vis-à-vis de l’entourage s’exacerbe.
Pensez-vous que les aspirations et les valeurs des jeunes ont beaucoup changé depuis les années 1980 ?
En réalité, les aspirations n’ont pas changé, les adolescents ont toujours en eux cette force de vie qui les emplit de rêves, d’illusions et de certitudes mais je pense que l’effort n’est plus vraiment d’actualité, la méritocratie ne leur dit plus grand-chose. Dans les années 80, les adolescents se donnaient de la valeur à travers leurs actions, leurs actes. Ils se démarquaient par leur pensée, leur particularité.
On dit que les jeunes ne lisent plus…
Justement j’ai essayé de penser aux jeunes lecteurs et de pallier à cette notion de lecture qui se perd : les paragraphes sont courts, l’histoire peut se lire de manière linéaire ou en sautant des chapitres. J’ai essayé de donner un maximum d’images et d’impressions en peu de lignes tout comme il y a aussi beaucoup de dialogues pour créer un dynamisme presque visuel. Je crois que les jeunes font l’effort de lire lorsque le sujet les intéresse.
Preuve que des jeunes adultes continuent de lire, j’ai reçu deux remarques qui m’ont particulièrement marquée. Une jeune femme m’a dit : «Je suis jalouse, j’aurais voulu que mon adolescence soit aussi animée que celle des jeunes dans le livre !», et un jeune lecteur m’a déclaré : «En lisant votre livre, j’ai eu la nostalgie d’un temps que je n’ai pas connu.»