«Je hais les adolescents», c’est ce que je n’ai pas arrêté de dire durant de longues années. Et croyez-moi, il y avait de quoi. J’ai eu l’envie de partager mon expérience pour rassurer toutes ces mamans qui vivent ce que j’ai vécu avec mon fils : des années de cris, d’angoisses, d’incompréhensions. Sachez, mesdames, que cela se termine parfois en beauté. Je suis si heureuse de voir aujourd’hui mon fils apaisé, se préparant à se marier et savourant pleinement ce moment de bonheur. Quand je me remémore le film de notre histoire, je suis la première étonnée que cela se soit passé si durement et parfois, je me dis que c’est impossible. Je me surprends même à rêver de petits-enfants et pourtant….
Propos recueillis par wissal faris
Tout petit déjà mon fils m’en a fait voir de toutes les couleurs. Je passe rapidement sur les cris chaque soir pour qu’il aille enfin se coucher ou, le matin, pour qu’il accepte de partir à l’école en passant par les petits déjeuners, déjeuners, dîners accompagnés de supplications pour qu’il veuille bien manger quelque chose qui ressemble à un légume !
A l’adolescence, tout a empiré. La vie quotidienne est devenue un vrai champ de mines, prêtes à nous exploser à la figure à tout moment. Quand il était à la maison, le voir agir comme un zombie amorphe nous hérissait les cheveux, son père et moi. Et ne rentraient dans sa chambre que des énergumènes du même acabit. C’est alors seulement que nous entendions notre fils rire et parler avant qu’une forte odeur de cigarette ne s’échappe de cet antre dans lequel il nous était impossible de rentrer sans nous faire traiter de tous noms dont «sales fachos». Mais dès qu’il était hors de la maison, c’était pire. Nous étions morts d’inquiétude. Impossible de savoir à quelle heure il allait rentrer. Que faire ? Lui interdire de sortir ? Tous les parents d’adolescents vous diront la même chose. Les hurlements ou les claquements de porte, les promesses ou les supplications, sans oublier les chantages sur les notes d’école, font que tout parent normalement constitué se fait avoir. La nuit est terrible. Vous vous levez à 2 heures du matin, avec l’espoir qu’il soit rentré et que vous ne l’avez pas entendu. Mais non, il n’est pas encore là. Vous appelez au téléphone et vous tombez sur sa boîte vocale. Alors les images s’enchaînent, l’angoisse monte. Allez-vous appeler tous les hôpitaux de Casablanca ? Bien sûr que non. Contacter le ou les parents de ses amis dont vous êtes parvenu, après mille et une ruses, à connaître le nom ? A cette heure-là, c’est tout aussi inconcevable. Alors vous attendez, café à la main, enveloppé dans une couette, cherchant désespérément une série policière pour vous tenir compagnie. Ironie du sort. Lorsqu’il rentre, votre premier réflexe est de l’embrasser tellement vous êtes heureuse de le voir. Mais c’est un étranger, sur la défensive et complètement hagard que vous avez face à vous. Combien de fois, j’ai pleuré alors, si malheureuse de sentir ce mur d’incompréhension entre nous, si désespérée à l’idée que je n’étais, pour lui, qu’une mégère acariâtre.
Avais-je des raisons d’avoir peur ? Assurément, surtout depuis que je sentais des effluves d’alcool chaque fois qu’il rentrait tard. Oui, l’alcool est interdit au Maroc mais ses copains et lui s’en procuraient. Je n’ai jamais su ni comment ni par l’intermédiaire de qui. Nous savons toutes et tous que malgré l’interdiction en vigueur des centaines de gens, surtout des jeunes, meurent sur les routes marocaines parce qu’un conducteur en état d’ivresse a été incapable de se contrôler. Un de ses amis est d’ailleurs décédé après une course en quad à Dar Bouazza. Mon fils est resté prostré pendant trois jours dans sa chambre. Et j’ai été totalement hors de moi lorsque j’ai appris, le quatrième jour, qu’il était parti faire une virée sur cet engin de malheur avec toute sa bande de copains.
Je me souviens aussi de cette nuit terrible où mon fils m’a appelé à 4 heures du matin, en train de hurler disant qu’il avait explosé sa voiture. Je l’ai trouvé sur le bord de la route, se tenant la tête entre les mains et tapant la bordure de ses pieds. La voiture n’avait pas grand chose, lui n’avait rien, enfin, il n’était pas blessé. Pourtant, je n’oublierai jamais son visage, ni son comportement. Il était tout rouge, les yeux hagards, les lèvres complètement sèches. Et il hurlait, hurlait, disant qu’il avait tout cassé (en réalité il avait tapé la voiture contre la bordure, c’est vrai que les roues étaient complètement explosées et que le train-arrière n’en menait pas large, mais bon, pas de quoi être dans cet état second).
J’osais à peine le regarder. Je me souviens m’être dit que «c’est ça le visage d’un drogué». Un vrai coup de poignard pour une maman. J’étais complètement désemparée. J’avais tellement envie de le prendre dans les bras, dans l’espoir que tout s’arrête là, tout de suite, que je retrouve mon fils à moi, celui que j’avais bercé, apaisé, soigné quand il était malade, celui qui me regardait avec des yeux pleins d’amour. Comme il me manquait. Mais bien sûr, c’était impossible. Je n’ai même pas osé esquisser le moindre geste de tendresse envers lui de peur d’être rejetée. Je ne pouvais que le calmer par des paroles douces.
Il est rentré dans ma voiture. J’en ai profité pour faire le tour de son véhicule et c’est là que j’ai trouvé des petites cartouches en aluminium. J’en ai pris une dans ma poche et une fois rentrée à la maison, j’ai consulté internet pour savoir de quoi il s’agissait. Incroyable : c’était des cartouches d’azote, le fameux gaz hilarant. Sauf que, je l’ai appris ce matin là, le sentiment de «légèreté» peut tourner, quand on en prend trop ou qu’il est pris après avoir consommé de l’alcool ou de la drogue, à des troubles de mémoire, à des évanouissements ainsi qu’à des comportements dangereux.
Nous avons réussi à imposer une consultation psychologique. Mais… quand le principal intéressé ne veut pas, cela ne marche pas. Nous l’emmenions mais il ne disait rien ou très peu.
Nous étions à 2 mois de la fin de l’année. Il voulait partir à l’étranger, je ne le voulais pas mais la psychologue m’a fait cette remarque étonnante : «Il n’est pas prêt mais comme tous ces amis partent à l’étranger, il vivra le fait de rester comme une injustice insupportable». Nous l’avons donc installé en France, sans grand espoir. Il a essayé, au début. En décembre, c’était clair. Il n’allait plus en cours. Il est donc rentré. Nous l’avons inscrit dans une école qui a bien voulu le prendre. C’était dur, nous étions malheureux pour lui et lui était malheureux pour lui… jusqu’à ce qu’il rencontre une jolie demoiselle.
Bien sûr, il y eu des hauts et des bas, de l’espoir et des coups de désespoir mais, elle et lui ont tenu bon. Il a réussi son année de justesse mais j’ai surtout gardé le goût, savoureux, du mot «réussi». La deuxième et troisième année ont été dans cette même veine. Tout était fragile. Avec des ruptures amoureuses, des nouveautés et de retours de flamme.
Après ses études, il a commencé à travailler dans l’entreprise de mon frère. Ce n’est pas fantastique, mais c’est un début. Et voilà qu’il a décidé de se marier. Hier, nous sommes partis essayer des costumes. Le voyant si beau, si heureux et si sérieux. J’en ai pleuré. Un pan de notre histoire s’est achevé, je crois que la suite commence sous les meilleurs auspices !