
Au Maroc, le mariage des mineures est interdit, mais des dérogations judiciaires le rendent encore possible. Chaque année, des milliers d’adolescentes sont toujours mariées avant leur majorité, quittant l’école du jour au lendemain. Face à cette réalité, Amal El Amine, coordinatrice du Collectif Dounia et responsable des programmes à Droits et Justice, conjugue plaidoyer et action de terrain : prévention, accompagnement juridique, sensibilisation. Dans cet entretien, elle livre son diagnostic et les réformes qu’elle défend.

«Aucune fille ne devrait être privée de son enfance.»
Droits et Justice, un combat de longue haleine
Depuis plus d’une décennie, Droits et Justice agit pour la protection des droits humains, notamment ceux des enfants, des jeunes filles et des femmes. Son programme « Combattre le mariage des mineures au Maroc » (CMMM), cofinancé par KVINFO et ONU Femmes, repose sur trois piliers : la sensibilisation, le plaidoyer et le renforcement des capacités.
L’association multiplie les ateliers communautaires, les campagnes culturelles et les formations auprès des magistrats et acteurs sociaux. En 2021, elle a initié le collectif Dounia pour l’interdiction du mariage des filles, qui réunit juristes, associations et institutions autour d’un même objectif : faire évoluer la loi et les mentalités.

Un double défi
Pour Amal El Amine, responsable des programmes à Droits et Justice, le principal défi reste double : culturel et juridique. Une partie de la société considère encore le mariage précoce comme une pratique « normale », et la loi actuelle continue de l’autoriser par dérogation.
« Nous espérons que la réforme de la Moudawana établira enfin une interdiction ferme et sans exception. Il est temps que le droit protège réellement les filles. »
Les causes profondes de cette pratique sont connues : pauvreté, décrochage scolaire, manque d’opportunités pour les jeunes filles, surtout dans les zones rurales. « Beaucoup de familles pensent ainsi assurer l’avenir de leur fille, alors qu’elles la privent de son éducation, de sa liberté et de sa dignité. »
Des parcours de vie brisés
Au fil des années, Amal El Amine a recueilli des dizaines d’histoires poignantes, celles de jeunes filles dont l’enfance s’est interrompue brutalement : mariées avant de comprendre le sens du mot «mariage» et sorties de l’école, parfois victimes de violences, avant de se retrouver aujourd’hui sans ressources et isolées socialement. Ces récits ont ancré une certitude : aucune jeune fille ne devrait être privée de son droit à l’enfance, à l’éducation et à un avenir digne.

Vers un Maroc sans mariage d’enfants
Aujourd’hui, le collectif Dounia multiplie les initiatives et le plaidoyer pour que le Maroc tourne définitivement la page du mariage des filles. Elle attend avant tout une réforme du Code de la famille qui consacre clairement et sans ambiguïté l’interdiction du mariage des mineures. Mais au-delà de la loi, il faut aussi un engagement collectif : des politiques publiques favorisant la scolarisation des filles, des programmes économiques pour leurs familles, et une sensibilisation continue dans les communautés rurales. «Notre ambition est simple : bâtir une société où chaque fille grandit dans la dignité, libre de choisir son avenir.»
Des témoignages qui brisent le silence
Le recueil « Enfance volée », publié par Droits et Justice, met en lumière des parcours bouleversants. Dounia, mariée à 13 ans à un homme de 38 ans ; Khadija, battue par sa belle-famille ; ou Aïcha, mariée “à la Fatiha” sans droits pour ses enfants.
Leurs voix rappellent la cruauté d’un système encore toléré, mais aussi la force de celles qui se relèvent, reprennent leurs études ou créent leur autonomie grâce à l’appui associatif.
Repères et contacts :
Tél. : 05 22 25 82 66 E-mail : contact@droitetjustice.org
Instagram : @associationdroitetjustice










