Jeune autrice marocaine née à Rabat en 1992, c’est à Paris qu’Hajar Azell fait le choix de poursuivre ses études supérieures en commerce et philosophie. Après 10 ans passés en France, l’envie d’aborder les questions de l’exil et du retour à la terre d’origine a commencé à poindre. Sa participation à la création et au développement d’un magazine culturel sur les cultures émergentes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, à partir de 2013, a renforcé son gout pour l’écriture et lui a donné l’impulsion de passer à la fiction. «L’envers de l’été» est son premier roman publié aux éditions Gallimard.
«L’envers de l’été » est votre premier roman, quelle est sa genèse?
J’ai grandi au Maroc puis j’ai vécu 10 ans en France. En étant loin des miens, je commençais à ressentir les symptômes de l’exil. En écrivant ce roman, j’avais envie de confronter deux regards : celui de ceux qui vivent dans un territoire et celui de ceux qui l’ont quitté pour «réussir» mais qui y sont encore attachés.
Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?
Mon écriture démarre toujours par des fragments très courts que je tisse peu à peu entre eux pour créer une histoire. Je m’inspire beaucoup de mes rencontres, de ce que j’observe, des univers que je traverse. Mon écriture est aussi intimement liée au mouvement. J’écris beaucoup dans les trains, les avions, les taxis, les métros.
Vous avez choisi de brouiller les repères géographiques du roman, pourquoi?
J’ai voulu ancrer cette histoire dans la Méditerranée plutôt que simplement dans mon pays. C’était important pour moi de revendiquer une part d’universalité (ou simplement de Méditerranée) pour un récit qui est davantage intime que politique. Pour moi, la Méditerranée est un territoire à la fois sensoriellement très palpable et en même temps totalement imaginaire puisqu’il rassemble des pays et des vécus totalement différents. C’est un territoire très propice à la fiction et au fantasme. J’avais envie de raconter ma propre vision de ce territoire tout en déconstruisant certains mythes qui lui sont associés.
Qu’est-ce que vous avez souhaité évoquer aux lecteurs en décrivant Tephles?
Tephles veut dire «enfant» en arabe. J’ai voulu inventer une géographie qui représente allégoriquement l’enfance du personnage principal, le lieu de ses souvenirs les plus éclatants. Tephles est beaucoup décrit à travers les personnages, rarement en lui-même. Je voulais croiser les regards des estivants et des locaux sur le village imaginaire de Tephles…. et donc aussi sur l’enfance.
Quelles sont les réflexions que vous avez voulu faire passer à travers votre roman?
Mon roman est un peu un adieu aux mythes de l’enfance. Je voulais déconstruire un rapport que je trouve trop idéalisé à l’été, aux vacances. Je voulais raconter les coulisses du bonheur estival.
Le retour aux sources de May occupe une large partie du roman, selon vous est-ce une quête universelle?
La terre originelle est toujours magnétique. Comme May, nous revenons sans cesse sur les territoires qui nous ont marqués. Et puis le territoire lui aussi nous réclame, il y a quelque chose de presque mystique dans cet aller-retour. La fin du roman tente de montrer comment «la terre les réclame tous un jour ou l’autre» comme c’est écrit au tout début du roman.
Que représentent les différents profils féminins présentés dans l’ouvrage et plus particulièrement Gaia?
Gaia (la terre en grec), la grand-mère de May, symbolise l’union de la famille, la cohésion, l’harmonie. C’est une conteuse. Elle désamorce les tensions par ses histoires, transmet sa sagesse aux villageois. C’est une vraie matriarche. Plus généralement, mon roman est très matriarcal : ce sont les femmes qui construisent et qui détruisent aussi. Ce que je voulais montrer c’est la difficulté, pour une femme, à choisir un modèle de vie librement. Les femmes qui choisissent la communauté, l’honneur, la famille, la maternité. (Gaia et Nina) s’opposent à celles qui souhaitent vivre leur vie autrement : Rita et Camélia. C’est cette impossibilité de choisir librement sa vie qui crée des souffrances, des non-dits, des secrets. La foule est reine et les rondes collectives figent les femmes comme les hommes dans une image faussée de ceux qu’ils sont.
Avez-vous d’autres projets littéraires ? Quelles sont les thématiques que vous souhaiteriez aborder dans le futur?
Je continue à écrire mais je n’ai pas encore de nouvel écrit abouti. Les sujets liés au déracinement, à la migration, au voyage et aux territoires me fascinent particulièrement.
«Jamais tu ne comprendras cet endroit si tu ne fais que le fantasmer. Un jour tu devras le regarder en face. Arrêter de trouver mignons les accents, les intonations ou la couleur du soleil. Un jour tu vas devoir le vivre. Après seulement tu comprendras les regards creux dans les bars ou les secrets de famille enterrés dans les cimetières. Tant que tu ne te seras pas identifiée à tous ces gens, tu ne comprendras rien. Tu es comme Camus avec nous. Tu nous fantasmes sans t’intéresser à ce qu’on est vraiment.» extrait