Une fiche de poste sur tissu pour mettre en lumière le travail ménager invisible : à l’occasion du 1er mai, ATEC et ONU Femmes Maroc lancent une campagne nationale inédite qui redonne une voix, et une place, aux femmes dans les foyers.
Un tablier pour tout dire
C’est un objet du quotidien devenu symbole. Le 1er mai à Casablanca, un tablier arborant une fiche de poste insolite – cuisinière, infirmière, éducatrice… – sera porté dans les rues pour dénoncer une réalité trop souvent ignorée : le travail domestique, essentiel mais invisible, assuré majoritairement par les femmes. À l’initiative de l’Association Tahadi pour l’Égalité et la Citoyenneté (ATEC), avec le soutien d’ONU Femmes Maroc, cette campagne entend mettre en lumière un pilier silencieux de la société.
Rendre visible l’invisible
Intitulée « Ch9a Dare Machi 7ogra », la campagne s’inscrit dans un programme national jusqu’en 2026. Son objectif : réduire d’une heure par jour le temps que les femmes consacrent aux tâches domestiques. Car selon le Haut-Commissariat au Plan, les femmes marocaines assument plus de 90 % de ces tâches, y consacrant cinq heures par jour contre seulement 43 minutes pour les hommes. Un déséquilibre qui impacte profondément les parcours professionnels et personnels des femmes, tout en perpétuant l’idée que ce travail serait «naturel» ou secondaire.
Des actions sur tous les fronts
La campagne associe mobilisations de terrain, théâtre, événements sportifs, campagnes digitales et contenus multimédia réalisés avec des jeunes. Une application mobile viendra mesurer la charge domestique réelle dans les foyers concernés. À travers toutes ces actions, ATEC veut encourager un partage équitable des responsabilités et impliquer activement les hommes.
«Il est temps de reconnaître ce travail, de le partager, et de sortir des stéréotypes», affirme Bouchra Abdou, directrice d’ATEC. En portant ce tablier, les manifestants affirment : ce que nous faisons chez nous a une valeur. Et il est temps de le dire.
AVIS DU PRO

Loubna El Mdaoui
Psychologue Clinicienne et Psychothérapeute
Responsable psycho-éducative à l’institut CPA
(centre pro-action )
En tant que psychologue clinicienne, je rencontre souvent des femmes exténuées, irritables, en perte de repères, dont la souffrance n’a pas de cause apparente. Ce sont les manifestations silencieuses d’une charge mentale continue, de cette tension intérieure liée à la gestion permanente du foyer. Elle agit comme un bruit de fond qui épuise les ressources psychiques, fragilise l’estime de soi et empêche toute reconnexion à ses propres besoins. Une étude publiée dans The Lancet Public Health (2019) a d’ailleurs montré que les femmes qui assument l’essentiel des tâches domestiques sont deux fois plus susceptibles de développer des signes de détresse psychologique que celles bénéficiant d’une répartition plus équilibrée. Il ne s’agit pas ici de poser la question de la justice ou de l’égalité, mais de bien-être. L’implication de l’autre dans le quotidien n’est pas un geste technique, c’est un acte de présence, un langage affectif qui dit : “je te vois”, “tu n’es pas seule”. Plus qu’un appel au partage, cette réflexion nous invite à penser les gestes du foyer comme des marqueurs relationnels : prendre sa part, c’est aussi permettre à l’autre de respirer, de se recentrer, de reprendre sa place dans son propre corps et dans sa propre vie. Et si repenser la répartition des gestes quotidiens devenait le premier pas vers un mieux-être psychique partagé ? Le foyer, en redevenant un espace d’appui mutuel, pourrait ainsi devenir un lieu de régénération, où chacun·e, femme ou homme, trouve la place d’exister pleinement .