Qu’est-ce qui, selon vous, est le principal facteur de risque pour la santé mentale des femmes?
Plusieurs facteurs rentrent en compte dans la santé mentale des femmes. Tout d’abord, les caractères propres à leur féminité notamment à travers le rôle des hormones et l’existence d’événements marquants dans la vie des femmes comme les grossesses, les fausses couches, le postpartum ou la ménopause. Mais au delà du coté physique les femmes doivent également faire face à des facteurs relationnels et sociétaux particuliers. Parmi les facteurs spécifiques à la condition féminine on retrouve le fait de ne pas pouvoir maîtriser son existence, la charge importante et constante de la famille, la violence interpersonnelle et notamment les violences sexuelles et conjugales, le harcèlement au travail, les faibles revenus et bien d’autres.
Les principaux symptômes de la dépression chez les femmes?
Pour la dépression parmi les symptômes qui devraient pousser à consulter et à demander conseil à votre médecin de famille c’est tout d’abord une diminution pathologique de l’humeur et de l’énergie. On parle ici d’un sentiment pénible, douloureux, envahissant, quasi constant dans le temps, dès le réveil, indépendamment des circonstances environnantes ou des événements de vie qui dure depuis au moins 15jours. A cette tristesse est presque toujours associée une anhédonie, c’est à dire une perte du plaisir. Une sorte d’anesthésie affective, une perte d’intérêt pour tout ce qui vous plaisez auparavant, avec des idées de culpabilité, de dévalorisation et qui peuvent aller jusqu’aux pensées suicidaires. Avec cela il y a aussi des perturbations physiologiques à type de perturbation du sommeil, des conduites alimentaires, de la libido, et surtout une fatigue avec parfois ce qu’on appelle une clinophilie c’est à dire un refus de se lever ou de sortir du lit. La dépression est associée à un risque élevé de suicide et il ne faut pas hésiter à demander de l’aide.
Puisque nous parlons des femmes, je pense que c’est l’occasion de dire aussi un petit mot sur la dépression du post-partum qui est souvent sous diagnostiquée. C’est différent du Baby blues qui lui est transitoire. Le Baby Blues survient entre le 2e et le 5e jour après l’accouchement, avec un pic au 3e jour et ne dure en général que 10jours au maximum. Lié en général à la perturbation des cycles hormonaux, les transformations du corps, l’épuisement et l’arrivée brutale d’une responsabilité immense, le Baby Blues est une réaction fréquente au postpartum qui tend à se résorber d’elle-même avec le soutien des proches. Par contre les symptômes de la dépression du post-partum ressemblent à ceux de toutes les dépressions avec souvent en plus un sentiment marqué d’incompétence maternelle qui va durer plusieurs semaines après l’accouchement.
Quels sont les meilleurs moyens de prévenir la détérioration de la santé mentale chez les femmes?
En santé mentale on parle de facteurs de risque comme ceux qu’on a évoqué auparavant et de facteurs protecteurs. Tout d’abord prendre soin de sa santé en générale est un facteur protecteur. Donc on commence par les 3 piliers de base :
– Une alimentation variée et équilibrée qui reste à l’écoute de nos sensations physiques notamment celle de la faim. Ce dernier point est capital parce que malheureusement l’industrie des régimes restrictifs «amaigrissant» ne propose pas de résultats durables et cause de vraies souffrances psychologiques majoritairement chez les femmes, en engendrant des troubles comportements alimentaires.
– L’activité physique, qui permet de réduire le stress mais aussi de travailler sur son estime de soi. Le mot clé ici c’est de choisir une activité qui nous plaît et d’y aller progressivement.
– Le sommeil comme élément capital. Non dormir n’est pas une perte de temps et malheureusement les femmes et surtout les mères utilisent ce temps de calme pour pouvoir être productives et finissent avec des privations de sommeil importantes
A coté il est important aussi d’acquérir des capacités d’adaptation en santé mentale. Ainsi développer son estime de soi et sa flexibilité mentale, comprendre les distorsions cognitives, et faire face à nos stratégie d’évitement nous permet de développer des capacités pour mieux gérer nos problèmes et mieux traverser les périodes de transition de la vie.
Qu’est ce qu’une distorsion cognitive ?
Les distorsions cognitives sont des modes de pensées qui agissent comme des filtres lors de l’interprétation du monde qui nous entoure. Prenons l’exemple de la loi du tout ou rien sans nuance intermédiaire «Si une situation n’est pas sûre à 100 % elle est forcément dangereuse.» «Si je sens des palpitations, alors je vais faire un infarctus.» Un autre exemple serait aussi l’étiquetage, c’est à dire poser des jugements définitifs sur soi-même ou sur les autres. «Cette personne est un monstre !» «Je suis complètement nul !». Il y a aussi la généralisation à outrance par exemple «si la personne que j’aime m’a rejeté, il est clair que l’amour n’est pas pour moi…». Ces erreurs de raisonnement sont la manière qu’à trouver notre cerveau pour simplifier des réalités bien plus complexes. Savoir les détecter et les analyser nous aide à garder l’esprit clair, à avoir des attitudes plus réalistes et surtout plus positives.
Quels sont les différents traitements disponibles pour les femmes souffrant de troubles de la santé mentale?
Les traitements varient en fonction des pathologies. Mais je pense que le premier pas à faire est de normaliser le fait de parler de santé mentale à son médecin de famille. Lui sera apte de distinguer entre les troubles de l’humeur saisonniers et les troubles psychiatriques et pourra vous conseiller en terme de prise en charge et si besoin vous orienter vers un psychologue ou un psychiatre.
Qu’est-ce qui, selon vous, est le plus important pour stimuler la santé mentale des femmes?
Malheureusement le sujet n’est pas simple. Oui travailler sur soi en essayant d’acquérir plus de compétences de résilience et de flexibilité psychologique est toujours un bon début. Mais face à des conditions de vie opprimantes ce n’est malheureusement pas suffisant. Il faudrait peut être comprendre que le féminisme n’est pas un mouvement anti-homme mais plutôt un mouvement qui essaie de traiter les challenges que rencontrent les femmes dans la société. En adressant les différents problèmes sociétaux qui pèsent sur l’équilibre psychique de la femme et en arrêtant d’éviter les sujets qui fâchent, c’est comme ça qu’on grandit.