Architecte de formation et créatrice passionnée, Kenza Essamgani redéfinit l’artisanat marocain en mêlant traditions ancestrales et approches contemporaines. À travers ses créations, notamment le vase L’Goulla, elle célèbre la mémoire des femmes marocaines et interroge notre rapport aux objets du quotidien. Engagée pour une création responsable et une meilleure reconnaissance des femmes dans le monde professionnel, elle partage sa vision sur l’équilibre entre préservation des savoir-faire, innovation et égalité des genres.
Il est essentiel de prendre en compte les réalités biologiques féminines dans le monde du travail, en instaurant, par exemple, un congé menstruel pour les femmes souffrant de douleurs invalidantes.
Quels sont, selon vous, les principaux défis qui restent à relever pour garantir une véritable égalité des droits entre les femmes et les hommes au Maroc ?
L’égalité hommes-femmes ne consiste pas seulement à accorder les mêmes droits, mais à reconnaître leur complémentarité et garantir les mêmes opportunités et le même respect. Elle se joue dès l’enfance, où l’éducation façonne les mentalités : comment prôner l’égalité si l’on apprend aux filles à être « sages » et aux garçons à être « leaders » ? Plus qu’un principe rappelé chaque 8 mars, elle doit s’ancrer dans la réalité par des actions concrètes. Sensibilisation, médias, éducation et engagement professionnel sont essentiels pour inscrire cette lutte dans l’inconscient collectif et bâtir une société réellement équilibrée.
La Journée des droits des femmes est souvent perçue comme une célébration, mais aussi comme un rappel des combats à mener. Pour vous, quel est le message essentiel que cette journée doit porter ?
Chaque année, on confond encore la Journée des droits des femmes, qui commémore les luttes pour l’égalité, avec une simple Journée de la femme, perçue comme une célébration. On offre des bouquets, des douceurs, des mots gentils… mais au-delà de ces attentions, la réalité est bien plus dure.
L’égalité ne doit pas être une bataille de tranchées, mais un pont à construire ensemble. Le véritable combat, c’est qu’aucune femme marocaine ne doive choisir entre sa liberté et son bien-être, qu’elle ne soit plus contrainte de justifier ses choix ou de s’excuser d’exister en dehors des cases qu’on lui impose. Elle doit pouvoir être elle-même, ambitieuse et indépendante, sans crainte d’être jugée ou marginalisée.
Car une société où les femmes doivent sacrifier leur bien-être pour être acceptées est une société qui se prive d’une partie de sa force, de son intelligence et de sa lumière. Au-delà des symboles du 8 mars, il est urgent de traduire ces valeurs en actions concrètes pour que l’égalité ne soit plus une simple promesse, mais une réalité vécue au quotidien.
Dans votre parcours personnel ou professionnel, avez-vous été confrontée à des inégalités de genre ? Comment les avez-vous surmontées et quelles évolutions souhaiteriez-vous voir ?
Comme beaucoup de femmes, j’ai été confrontée à des attitudes sexistes et à un manque de considération dans le milieu professionnel. Dénoncer ces situations est un défi, mais il est urgent de renforcer les lois contre le harcèlement, même dans ses formes les plus subtiles. Les inégalités persistent : il faut souvent travailler plus pour être prise au sérieux et prouver sa légitimité. Il est temps d’encourager le leadership féminin, d’assurer la parité dans les postes de décision et de changer les mentalités. L’éducation des garçons joue un rôle clé : apprendre le respect et l’égalité dès l’enfance est essentiel pour un avenir où les choix professionnels des femmes ne seront plus un sujet de tension.
Le Maroc a connu plusieurs avancées en matière de droits des femmes ces dernières années. Quel changement ou réforme vous semble aujourd’hui prioritaire pour renforcer ces acquis ?
Au-delà des réformes, des mesures immédiates peuvent améliorer le quotidien des femmes. Après le séisme de Marrakech, il est urgent d’assurer des toilettes sécurisées dans les écoles rurales pour lutter contre le décrochage scolaire des filles. L’accès aux produits d’hygiène menstruelle doit aussi être une priorité. Sur le plan professionnel, l’égalité salariale et un congé menstruel pour les femmes souffrant de douleurs invalidantes sont essentiels. Enfin, la sensibilisation à l’endométriose doit être renforcée. Avec mon amie Yasmina Remmal, nous cherchons les meilleurs canaux pour informer efficacement toutes les femmes. Des actions simples peuvent changer des vies sans attendre de grandes réformes.
Quelles femmes marocaines, d’hier ou d’aujourd’hui, vous inspirent le plus et pourquoi ?
La femme marocaine incarne une force discrète mais inébranlable, héritée des générations passées. Plus que les grandes figures historiques, ce sont mes grands-mères, Meryam et Fatima, qui illustrent cette sagesse : l’autorité ne se gagne pas par la force, mais par le compromis et la persévérance. Si je partage la quête du féminisme pour l’égalité, je me méfie des luttes radicales. L’émancipation ne doit pas être une opposition, mais un chemin partagé, où hommes et femmes avancent ensemble, sans chercher à dominer l’autre.