
« Toute subjectivité implique un héritage de rencontres antérieures ou d’immersion dans la tradition qui induit une comparaison instantanée» 1. De ce lexique, Ibrahim Ballo, artiste malien, forge sa pratique. Présentée à la Salle des Casques de la Fondation Montresso, son exposition « Les mémoires de filles en fils» est à découvrir du 13 décembre 2025 au 21 février 2026.

Héritier des femmes de son village, Ibrahim Ballo transforme l’histoire du fil en une praxis, qui constitue le présent récit. De « filles en fils », il esquisse un tableau de nos relations sociales par une esthétique des héritages, dans une grammaire résolument textile. L’Aventure ambiguë 2 se poursuit ici, où matrimoine et patrimoine se rencontrent dans une lecture critique du présent. Sur des papiers, toiles, tissus ou poteries, Ballo impose son regard sur la fragilité de son époque, position nécessaire pour endosser cette étrange division entre les attentes actuelles et son propre cheminement. De cet entre-deux, surgit le paradoxe des œuvres, enchevêtrées dans les strates du temps, où passé et présent convergent dans une forme de co-fragilité. Dès lors, la consistance du fil se manifeste : en s’insinuant dans la matière hic et nunc, il amplifie l’intention du support pour en révéler les tensions. Dans son élan, il la perce, s’y fraie un passage, glisse sous sa surface, se réfugiant discrètement sous la figure, lui donnant corps simultanément.

Le fil, donc, pour placer les rapports sociaux dans le champ créatif.
Aux dislocations des liens, l’artiste arpente les chemins de la guérison. Par des points de jonction, il emprunte le biais mémoriel pour nous parler de résistance et de citoyenneté, créant une reliance entre les générations et les cultures. Ballo s’introduit dans la matière, la traverse, s’y attarde pour réparer, ficeler, nouer irrévocablement les plaies insidieuses du présent. Échos de son monde intérieur, le rêve se dessine, parcourant les interstices du corps pour tracer la trame de son utopie.

Le fil, donc, pour édifier le spectre de nos interdépendances et bâtir le potentiel de nos futurs.
Sa résidence au Maroc s’impose comme une évidence. En son cœur, Jardin Rouge, carrefour culturel et lieu par excellence du métissage, s’immisce dans son atelier pour proposer la richesse de nouvelles écritures filaires. Ballo multiplie ainsi les médiums, et donc les voies, pour ériger les itinéraires de la connaissance et faire circuler les savoirs. De Marrakech à Sikasso, l’artiste entache la toile de manière éparse, où symboles et matières convergent pour révéler les réminiscences du lien social. Animal, cosmogonie dogon et symboles amazighs sont autant de composantes qui nous éclairent sur l’équilibre du monde, dévoilant simultanément protection, fertilité, liberté et féminité. Par une installation centrale où dialoguent les artisanes de Sero et celles de Tazart, la Grande royale 3 s’élève. Fils d’indigo noués, puis teints à la main, se mêlent à l’argile cuivrée, mémoire des terres et des mains. Chair-mères dressées, la voix des silencées s’élève pour conquérir l’espace. C’est ça « la vraie promotion de la culture », nous dit-il. Tout dans cet art du tissage semble représenter la vie de la cité. C’est cette structure, à la fois fragile et déterminée, qui permet aux œuvres de subvertir le temps. En valorisant ces formes altérées, on échappe peut-être à la honte prométhéenne, semble nous murmurer l’artiste. Dans l’irrégularité des fils et des surfaces, la voie vers le souvenir d’un rêve évanescent se résout en prose. Toute la poésie réside dans sa fragilité.















