Hamza Bennani Smires, trompettiste et compositeur passionné, a dévoilé le 6 septembre dernier son premier EP « Raqsat el Hayat » . Ce projet, enregistré en format « live session », fusionne avec brio jazz et musiques marocaines traditionnelles, offrant une expérience musicale immersive et authentique. À travers quatre titres originaux, HBS invite les auditeurs à plonger dans son univers sonore unique, où chaque note raconte une histoire, méticuleusement tissée entre tradition et modernité.
© yasyastwice
On chante littéralement dans le tube en utilisant un maximum d’air chaud pour obtenir le plus joli son possible. Tout cela est très grisant mais nécessite beaucoup de travail et de régularité.
Votre parcours musical est riche et varié. Pouvez-vous nous parler de vos débuts et de ce qui vous a poussé à choisir la trompette comme instrument principal ?
J’ai commencé vers l’âge de sept ans, par le piano classique pendant quelques années. Adolescent, je me suis intéressé à la batterie et aux percussions. C’est bien plus tard, autour de mes vingt ans, que je suis littéralement tombé amoureux du son de la trompette, et du bugle plus particulièrement (Flugelhorn en anglais). C’est une sorte de trompette avec une perce de forme conique (au lieu d’être droite comme pour la trompette), ce qui donne un son plus velouté et plus chaleureux. C’est l’instrument roi des ballades de jazz, il est également très utilisé dans les fanfares d’Europe de l’Est. Je n’ai pas vraiment eu le sentiment d’avoir choisi mon instrument, tout cela s’est imposé à moi comme une évidence. Le plaisir de jouer d’un cuivre est indescriptible, on sent tout son corps vibrer et on utilise la même technique que le chant pour maîtriser la respiration et le débit d’air.
Votre premier EP, « Raqsat el Hayat », combine jazz et musiques marocaines traditionnelles. Quelle a été votre principale source d’inspiration pour ce projet et comment avez-vous marié ces deux univers dans vos compositions ?
En comparant la musique à une langue, je pense que l’inspiration du compositeur prend son origine dans une synthèse (inconsciente) des musiques qu’il a écoutées, comme un écrivain des livres qu’il a lus. Mes influences sont diverses, j’écoute beaucoup les trompettistes de jazz comme Miles Davis, Chet Baker, Clifford Brown (et tant d’autres) et j’ai été biberonné aux musiques traditionnelles marocaines. J’affectionne beaucoup la musique classique, en particulier la période romantique et moderne. J’ai toujours été un grand fan de Rabih Abou Khalil, oudiste et compositeur libanais. J’imagine que l’on retrouve un peu de tout cela dans mes compositions, par petites touches, parfois franches lorsque la référence est souhaitée mais le plus souvent assez discrètes.
Je n’ai pas le sentiment d’avoir décidé comment marier ces influences. Les musiques marocaines ont une puissance rythmique qui s’impose naturellement dans mes compositions, avec une harmonie qui serait héritée des influences du jazz et de la musique classique, pour lesquelles ce concept est très important. En ce qui concerne les mélodies, c’est vraiment l’affect qui prend le dessus, car la mélodie est le chant de l’âme!
L’enregistrement en format « live session » donne un aspect très organique à votre EP. Quelles ont été les principales raisons de ce choix et comment cela a-t-il influencé le résultat final ?
J’ai choisi ce format car la musique que je propose est très vivante. Nous jouons mes compositions depuis un certain temps et prenons plaisir à ne presque jamais jouer les morceaux deux fois de la même façon. Tous les musiciens ont un excellent niveau et une culture jazz importante, ils sont habitués à interpréter les standards de nombreuses façons différentes. Pour rendre justice à l’esprit de mes compositions, il fallait donc un format qui se rapproche le plus d’un concert de notre formation, où l’improvisation joue un rôle important.
Je m’inspire aussi des grands artistes de jazz et suis très attentif à ce qu’ils auraient pu dire ou écrire à leur époque. Je me souviens d’une interview de Billie Holiday qui expliquait comment elle entrait en studio avec son big band et la tension qui y régnait. En effet, à l’époque, les coûts d’un enregistrement étaient exorbitants et graver directement sur vinyl obligeait les musiciens à enregistrer tous dans la même pièce avec très peu de prises. Nous avons fait presque pareil, une ou deux prises maximum tous ensemble dans la même pièce, pour garder l’énergie intacte et pousser les synergies entre les musiciens au maximum. Par contre nous n’avons pas gravé sur vinyl, même si j’aurais adoré mais nous avons filmé la session que nous proposerons au public à partir du 6 septembre à raison d’une vidéo par semaine pendant tout le mois. L’EP sortira également sur les principales plateformes de streaming à la même date.
“Imazighen Revery” évoque l’univers musical amazigh, avec ses gammes et ses rythmes typiques, associés à des éléments mélodiques et harmoniques propres au jazz.
Chaque titre de votre EP semble raconter une histoire. Pouvez-vous nous parler du processus créatif derrière des morceaux comme « Sweet & Sour Casablanca » et « Imazighen Revery » ?
Je ne sais pas si je peux parler de processus créatif conscient, car pour être honnête chaque composition “arrive” à sa façon. Je travaille mon instrument de façon très assidue, la trompette est un instrument très exigeant. J’utilise un piano pour travailler la justesse et entendre les accords, pour creuser mes idées d’improvisations pour les solos. Ce faisant, parfois j’ai le sentiment de tomber sur une idée musicale intéressante. Je l’enregistre pour la retravailler plus tard. La composition, comme tous les pans de la musique, doit faire l’objet d’un travail régulier, ce n’est pas le fruit d’une intervention mystique et mystérieuse. A force de composer, on compose mieux et plus rapidement. Parfois il suffit d’une petite session où je re-travaille mes idées et la composition brute est prête. D’autres fois, je reviens sur la même idée pendant des mois avant de trouver une version satisfaisante à mon goût. La partie que je préfère, c’est quand je suis assez confiant pour proposer une composition à mes collègues et amis du groupe. Nous la travaillons ensemble et là je l’entends naître, puis subir de multiples métamorphoses au gré des répétitions et des concerts. Il n’y a que pour l’enregistrement que je décide de l’aspect final, parfois il m’arrive d’ajouter ou de retirer certains éléments au dernier moment… En fonction de l’inspiration du morceau, je travaille beaucoup la forme et la dynamique pour évoquer des atmosphères et des émotions. “Sweet and Sour Casablanca” est un voyage métaphorique à travers la ville de tous les paradoxes et de tous les miracles. Pour cela, il fallait créer plusieurs tableaux évocateurs et les lier par des changements de rythme et de dynamiques. “Imazighen Revery” évoque l’univers musical amazigh, avec ses gammes et ses rythmes typiques, associés à des éléments mélodiques et harmoniques propres au jazz.
En tant que musicien marocain, quel message souhaitez-vous transmettre à travers votre musique et quels sont vos objectifs pour les prochaines années ?
Je n’ai pas de message à véhiculer en particulier, en tant qu’artiste, ma volonté est de proposer un univers esthétique et musical original, pour permettre aux mélomanes de ressentir des émotions et de s’évader un temps, de s’oublier et de profiter d’un instant de grâce. J’essaie de proposer une musique substantielle, qui je l’espère, donnera envie à la jeune génération d’apprendre la trompette (ou un autre instrument) et de faire vivre une musique instrumentale marocaine moderne.
Pour les prochaines années, j’espère être en mesure d’enregistrer la totalité de mes douze compositions et de les proposer dans un même album, sans doute dans un format similaire à celui de l’EP qui en contient quatre. J’espère aussi pouvoir proposer ma musique pour un maximum de concerts, car c’est vraiment le partage en situation de performance que je trouve intéressant, que ce soit entre les musiciens ou avec le public.