Le temps passe sans que l’on s’en rende compte. Quinze ans peuvent filer comme une étoile, de profonds changements ont pourtant lieu. A l’occasion de nos 15 ans, il est temps de faire un bilan. Qu’est-ce qui a bien pu changer dans nos familles durant cette période ?
Texte Mohamed Mabrouk et sanaa eddaif
S’il y a une nouveauté qui a transformé nos foyers ces quinze dernières années, c’est bien internet. Cet outil a complètement révolutionné notre rapport à l’information et changé radicalement nos réunions de familles. Qui pouvait s’imaginer, à l’entrée des années 2000, que des membres d’une même famille pourraient s’asseoir à la même table et ne pas se parler, que des gens pourraient se rencontrer à distance ou que n’importe quelle question trouverait sa réponse instantanément, le temps d’un clic ? C’est bien notre univers désormais. «Le changement majeur de ces dernières années est en effet la révolution informatique. Grâce à elle, nous avons comprimé le temps et l’espace et nos relations se font de plus en plus transnationales. Il existe désormais des sites de rencontre, de mariage, des espaces de tchats… Et les Marocains y sont inscrits en masse, si l’on en croit les statistiques», nous confirme Abdelfattah Ezzine, sociologue.
De nouvelles données sociologiques sont également apparues comme l’émancipation de la femme, les mariages qui ne se décident plus exclusivement au sein des familles, les relations de couple qui se dégagent de plus en plus du joug familial, l’émergence de la lutte pour les libertés individuelles, la scolarité des petites filles même en zone rurale… «La Moudawana et la Constitution de 2011 y sont pour beaucoup mais attention, ce sont ces changements sociaux qui ont mené à ces lois et non le contraire. Le travail des associations, des chercheurs et des politiques qui se sont emparés de certaines questions sociales ont beaucoup aidé. On en arrive même à discuter aujourd’hui de questions comme l’égalité dans l’héritage ou la parité qui est encore lésée», ajoute Abdelfattah Ezzine.
Nos rapports avec nos enfants ont également subi de profonds changements. De plus en plus de femmes travaillent à l’extérieur de leur foyer et les crèches se multiplient. «Quand une femme travaille, elle joue un double rôle. C’est en tout cas ce que dit l’OMS. Seulement, malgré les changements et l’entrée de la femme dans le monde du travail, le rôle de femme active n’est pas reconnu dans le monde arabe. Dans sa perception globale, la place de la femme est à la maison et son travail à l’extérieur n’est pas perçu comme une priorité», nous explique Nadia Kadiri, psychothérapeute.
Constantes sociales
Malgré de grandes avancées en matière d’émancipation de la femme, véritable pilier de la famille, certaines données restent inquiétantes aujourd’hui comme l’augmentation du mariage des mineurs, les 800 avortements clandestins par jour, la radicalisation de certains foyers familiaux,… Les lois sont là pour encadrer le changement mais les spécialistes s’accordent à dire que ce changement est fragile et que les lois ne sont pas encore suffisamment appliquées.
La santé d’abord et avant tout
Nous connaissons aujourd’hui une évolution positive des principaux indicateurs de santé
Entretien avec Smail Aachati
Ancien haut cadre du ministère de la santé.
Docteur en Sciences Juridiques et Economiques
Consultant-formateur et Coach en PNL
Qu’est-ce qui a changé ces 15 dernières années dans notre rapport au secteur de la santé?
Les citoyens marocains exigent de plus en plus des soins de qualité prodigués avec humanisme et professionnalisme. Cette exigence légitime de bénéficier de soins accessibles à toutes les souches de la société marocaine a été renforcée et consolidée par la nouvelle constitution de 2011. Plusieurs facteurs ont également contribué au changement du paysage sanitaire. Parmi ceux-ci, un regain de confiance qui se traduit par une demande croissante en soins dispensés par les différents réseaux du système de santé marocain. Les instances politiques, la société civile et les différentes parties prenantes sont des acteurs de ce changement par leur volonté de généraliser la couverture médicale de base.
Quelles sont les améliorations constatées?
Nous connaissons aujourd’hui une évolution positive des principaux indicateurs de santé parmi lesquels l’espérance de vie à la naissance, la régression de la mortalité des mères et enfants de moins de 5 ans et l’éradication d’un certain nombre de maladies transmissibles.
L’offre de soins a-t-elle beaucoup changé?
Le réseau hospitalier s’est renforcé depuis la politique de décentralisation des CHU installés à Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès et Oujda. D’autres centres seront installés prochainement à Tanger, Agadir et Laâyoune. Seulement, malgré cette décentralisation, nous pouvons constater une sous-utilisation de l’offre de soins et la persistance de certaines inégalités interrégionales.
Que reste-t-il à améliorer aujourd’hui pour satisfaire pleinement les familles?
Les chantiers qui restent à achever ou à entreprendre doivent viser à intégrer la dimension sanitaire dans les différentes politiques publiques et à renforcer la politique de proximité en s’inscrivant dans la philosophie et la dynamique de la régionalisation avancée. Il faudrait également accroître la complémentarité et le partenariat entre les secteurs public, privé et la société civile ainsi que parachever la mise en place de la couverture médicale de base pour toucher les secteurs des professions libérales, de l’artisanat et les autres métiers dépourvus de couverture médicale.
Nous devrions aussi accompagner le processus d’ouverture du secteur médical privé sur les capitaux privés à travers des mécanismes de contrôle et d’encadrement en étroite collaboration avec les organisations ordinales professionnelles.
Témoignage
Les familles marocaines se préoccupent plus de leur santé mentale
Docteur Najwa Ghazal, psychiatre
«Je constate un accroissement des demandes. Autrefois, j’étais surtout consultée pour des cas lourds. Aujourd’hui, il m’arrive d’être sollicitée pour un avis, autant pour des adultes que pour des enfants.
Il importe cependant de signaler que les gens ne connaissent pas toujours la différence entre un psychiatre, un psychologue ou un coach. Ce qui m’inquiète personnellement, ce sont ces coaches qui font de courtes formations sous forme de modules puis interviennent sur des problèmes personnels. Cela conduit parfois à de la casse, difficile à réparer. Je ne dénigre pas le travail de tous les coaches mais on doit savoir à qui s’adresser. Mon conseil : se renseigner auprès d’un psychiatre ou d’un médecin généraliste pour éliminer tout problème médical et puis seulement se tourner vers les autres disciplines. Un thérapeute est formé pour accompagner les patients ou les diriger vers un spécialiste du domaine concerné.
Aller chez «le psy» n’est plus un tabou mais je constate encore une certaine peur des médicaments alors qu’aujourd’hui, on dispose de molécules plus raffinées avec moins d’effets secondaires.»
La santé : la dure réalité
Rien n’y fait. Le Ministère de la Santé a beau se battre, le système continue de souffrir de la concentration des établissements hospitaliers dans les villes ainsi que d’un accueil et d’une prise en charge des malades parfois très peu bienveillantes. Il suffit, pour s’en convaincre, de se rendre dans les hôpitaux pour constater la détresse de certains patients et de leur famille. Passe-droit pour être reçu avant les autres, obligation de se présenter avec les produits nécessaires aux soins, renvoi des patients vers des laboratoires ou des cabinets de radiologie privés,…
Côté privé, tout est beau mais quels contrôles et surtout quels moyens sont-ils mis en place? Les cliniques rivalisent dans le confort de suites mais les plus petites d’entre elles sont-elles équipées pour prendre en charge des complications majeures? Un nouveau système vient de voir le jour avec l’ouverture de l’hôpital Cheikh Khalifa Ibn Zaid, un établissement privé à but non lucratif, compromis entre privé et public. Une solution, peut-être. En tout cas, il y a urgence à agir.
Témoignage
Notre alimentation a tellement changé
Salwa Tazi, diététicienne, auteur du livre: Maigrir avec appétit, ou comment perdre du poids grâce aux combinaisons alimentaires.( éditions Éddif)
«L’alimentation des Marocains a beaucoup changé ces dernières années, évoluant dans le bon sens. Elle est plus consciente, plus saine et plus réfléchie. Désormais, la diététique n’est plus réservée à une élite, elle s’est complètement démocratisée. De nos jours, tout le monde surveille sa ligne (hommes, femmes, enfants). On retrouve de moins en moins de biscuits dans les écoles où l’on préfère les fruits secs et les fruits comme goûter. Les fast food n’ont plus tellement la cote, ils sont même pointés du doigt.
Nos habitudes alimentaires ont également changé. On mange de plus en plus les fruits en début de repas, moins de sucreries, moins de sel, moins de laitages, de farines ou de pâtes sans gluten, beaucoup plus d’eau… Et pour une meilleure hygiène de vie, le sport se généralise. De plus, le bio est à l’honneur dans nos assiettes.
Une chose est sûre, la diététique a de beaux jours devant elle : elle a réussi à nous séduire, nous Marocains qui avons la réputation d’être gourmands !»
L’école, un passeport pour l’avenir
L’enseignement a toujours été réservé à une élite
Entretien avec Nasreddine Lhafi, ancien directeur de l’Académie régionale de Casablanca
Tout le monde s’accorde à dire que le niveau des écoles est en chute libre. Etes-vous d’accord?
Depuis la construction de la première école publique, on n’a eu de cesse de dire que le système éducatif est en régression. Cela n’est pas exact. Si on analyse objectivement la situation, on se rend compte que l’école au Maroc a aussi formé une élite. Pour vous donner une idée, juste après l’indépendance, l’école primaire comptait 5.000 lauréats. Ceux-ci furent ensuite engagés comme enseignants sans autre formation complémentaire. Dans ces conditions, comment voulez-vous obtenir un enseignement de qualité ? Aujourd’hui, cela n’a pas beaucoup changé. Les enseignements sont souvent formés à la va-vite. Quant aux élèves, en dépit de leurs résultats souvent médiocres, ils passent au niveau supérieur pour remplir des quotas. Les meilleurs cadres dans l’enseignement sont ceux qui ont obtenu un diplôme à l’Ecole Normale Supérieure, en plus d’un cursus à la faculté et d’une formation pédagogique. Mais ceux-ci sont rares, aujourd’hui encore.
Qu’est-ce qui a changé ces 15 dernières années dans l’enseignement ?
Peu de choses hormis une réforme qui met encore plus à mal l’éducation. Avant, on enseignait le français à partir de la 3ème année du primaire. Aujourd’hui, on a avancé son enseignement à la 2ème année. Le problème est que le corps enseignant est composé pour 2/3 de professeurs arabisants et pour 1/3 de professeurs bilingues. Avec cette nouvelle réforme, beaucoup d’enseignants arabisants se retrouvent à enseigner le français. Et je ne parle pas des conséquences d’une diminution du nombre d’enseignants dans le public.
Que pensez-vous du débat actuel sur le maintien de l’arabisation des matières scientifiques ?
Je pense que l’arabisation n’est pas forcément une bêtise, encore faut-il bien mener la réforme, quelle que soit la langue. La formation dans une langue ne se limite pas à l’enseignement de sa littérature. Il faut l’accompagner d’un discours scientifique et d’un langage précis. Plus de 10.000 étudiants partent étudier en Espagne sans connaître au départ un mot de cette langue. Ils s’en sortent quand même. Le vrai problème est que nos professeurs ne maîtrisent pas les langues qu’ils enseignent.
Témoignage
L’enseignement privé a acquis une grande notoriété
Hatim Khalil, Co-fondateur du groupe scolaire «Les Jumeaux»
«En quinze ans, la perception même de l’enseignement privé s’est transformée. Ce qui était mal vu ou réservé à une élite dans le début des années 2000, est devenu une norme, voire même une nécessité. Il faut dire que les parents recherchent le meilleur pour leurs enfants et veulent leur offrir une éducation bilingue, voire trilingue de qualité.
Cette évolution des mentalités est principalement due aux bons résultats donnés par l’enseignement privé qui a réussi à s’imposer par son sérieux.
Cette prise de conscience permet également au privé de mieux se développer et d’offrir, d’année en année, une qualité supérieure d’enseignement. Par contre, si le privé est très plébiscité, nous constatons aussi une attirance pour l’enseignement dit de mission ou type mission.
En fait, c’est chacun selon ses attentes et ses moyens, mais ce qu’il faut noter, c’est que l’enseignement privé a acquis une grande notoriété en très peu de temps.»
L’enseignement : inégalitaire mais en route vers l’excellence
Dans les grandes villes, l’enseignement privé ne cesse de se développer au point que le Comité onusien des droits de l’enfant a tiré la sonnette d’alarme en janvier 2015 en soulignant que «l’enseignement privé se développe très rapidement, en particulier au niveau primaire (…) en sorte que les inégalités dans l’exercice du droit à l’éducation s’accentuent». Autre préoccupation du Comité : l’enseignement préscolaire demeure peu développé et quasi inexistant dans les zones rurales. Ces remarques parviendront-elles à ralentir le mouvement de «privatisation de l’enseignement»? Rien n’est moins sûr. Certaines familles au revenu modeste n’hésitent pas à emprunter pour payer les frais de scolarité, quitte à inscrire l’aîné des garçons dans l’enseignement privé et laisser leurs autres enfants dans le public.
L’enseignement public pleure (seul 12% des élèves inscrits en primaire obtiendront leur bac et 6% s’inscriront à l’Université); l’enseignement privé sourit. Des groupes scolaires bien structurés ont fait leur apparition et certains envisagent même un développement continental.
Mais c’est sans nul doute au niveau de l’enseignement supérieur que le changement est radical. Les meilleurs étudiants marocains avaient l’habitude de continuer leurs études à l’étranger. Ce ne sera bientôt plus nécessaire avec la création de pôles d’excellence tels que l’Université Internationale de Casablanca (UIC), qui fait partie de Laureate International Universities, l’Ecole Centrale Casablanca (montée en partenariat avec l’Ecole Centrale Paris) ou encore EMINES de Benguerir qui a noué des partenariats avec l’Ecole des Mines de Paris et l’Université Paris Dauphine.
Les enfants de l’ère nouvelle
Les enfants sont livrés aux nounous et autres, parfois à eux-mêmes
Entretien avec Mostafa Massid, psychologue clinicien et psychothérapeute
Quels sont les changements que l’on peut noter ces quinze dernières années concernant le développement de nos enfants ?
Les changements sont nombreux et évidents. L’un d’entre eux est que les enfants ne jouent plus «physiquement» et cela a un impact négatif sur leur développement psychomoteur en particulier, sur leur développement global en général également.
Nos enfants sont de plus en plus connectés. Quel impact sur leur éducation ?
Les enfants sont connectés très tôt. Certains parents achètent leur tranquillité en donnant à l’enfant, à un âge parfois très précoce (18 à 24 mois), tablette, IPhone,… ou en l’installant devant la télé. Il ne faut pas s’étonner que ces derniers présentent plus tard divers troubles comportementaux et d’apprentissage. On ne peut que constater un nombre grandissant d’enfants agités, instables, colériques et souffrant de difficultés de concentration ou de mémorisation, ce qui génère des conflits et des tensions que ce soit à l’école ou à la maison.
Nos enfants sont-ils quand même épanouis ?
L’épanouissement, par les temps qui courent, est un bien grand mot. Nos enfants vivent malheureusement assez cloîtrés. Au manque d’espace s’ajoute le sentiment d’insécurité, ils n’ont plus la liberté de jouer ou de rencontrer d’autres enfants. Tout est encadré. Par conséquent, l’épanouissement se trouve sérieusement compromis.
Qu’en est-il de la relation enfants/parents ?
Les parents, sous prétexte, de manque de temps ne communiquent plus avec leurs enfants sauf lorsqu’il s’agit de réprimandes relatives au rendement scolaire. Je dirais que l’éducation a connu aussi «l’externalisation», les enfants sont livrés aux nounous et autres, parfois à eux-mêmes.
Ne parle-t-on pas plus souvent et plus facilement de sexualité à son enfant ?
Malgré les quelques ateliers de sensibilisation des parents, le sujet reste soumis aux tabous et interdits. Les parents ont toujours du mal à aborder cette question, soit parce qu’ils ne savent pas comment s’y prendre, soit parce qu’elle les renvoie à leur propre sexualité, elle-même déséquilibrée.
Un conseil pour les parents d’aujourd’hui
COMMUNIQUER. Avant d’être un élève, chaque enfant est d’abord un être humain qui veut qu’on échange avec lui par la parole, le jeu,… et c’est grâce à ces échanges qu’il se développera positivement. S’agissant d’éducation sexuelle, il est important qu’elle se fasse par les parents eux-mêmes. L’enfant a besoin que tout lui soit dit par ses parents. L’une des peurs qui tiraille les parents est la pédophilie mais ce n’est certainement pas en l’isolant du monde extérieur qu’on va le protéger. C’est au contraire en abordant le sujet de la sexualité assez tôt qu’on fera de lui un enfant avisé qui saura se protéger par lui-même.
Vie de couple
Le couple marocain connaît une évolution à deux vitesses
Entretien avec Abou Bakr Harakat, psychothérapeute et sexologue
Comment le couple marocain a-t-il évolué durant les quinze dernières années?
Je dirais que le couple marocain a évolué en zigzague (rires). Plus sérieusement, il y a beaucoup de choses qui ont changé et d’autres qui devraient encore changer. Il ne faut pas oublier que, durant ces quinze dernières années, la nouvelle «Moudawana» portant la réforme du code de la famille est entrée en vigueur. Elle a bouleversé la conception du couple. Cependant, le rythme de l’évolution n’est pas le même pour chacune des parties du couple. Aujourd’hui, la femme marocaine est dans la dynamique de la recherche d’un partenaire, alors que l’homme est plutôt dans l’ambivalence. Ce dernier cherche une femme qui soit en même temps moderne et traditionnelle, à la fois épouse et amante et qui, idéalement, ressemblerait à sa mère. Et malheureusement, dans notre société, ce genre d’attitude est tenace et résiste à la modernité. C’est donc une évolution à deux vitesses qui s’opère au sein du couple, la femme allant plus vite que l’homme.
Peut-on dire que cette évolution est positive?
C’est une évolution tout à fait positive dans la mesure où, aujourd’hui, on constate que la femme revendique mieux sa place dans le couple et s’assume. On note également qu’un nombre croissant d’hommes s’inscrit dans cette optique et participe à cette évolution positive. Et même si cette progression s’opère à deux vitesses, le couple marocain est assurément sur la bonne voie. Et puis, le fait que la femme s’assume beaucoup plus est un avantage déterminant. De toute façon, c’est toujours la femme qui tire le couple vers le haut et les hommes seront forcés de suivre un jour ou l’autre. Par la force des choses, nous verrons de plus en plus les couples marocains évoluer vers l’entente et l’équilibre conjugaux.
En ce sens, quel conseil donneriez-vous aux couples?
Je leur dirais simplement qu’un couple heureux et épanoui est un couple qui arrive à s’inscrire dans une relation égalitaire et de confiance. C’est là, ce que les partenaires devraient comprendre et rechercher…
Vers quel modèle de famille ?
Dans une famille, tout le monde faisait le coaching de tout le monde !
Entretien avec Abdelmajid Ibaroui, coach en développement personnel
Selon vous, comment a évolué le développement de la personnalité au sein de la famille durant les 15 dernières années ?
Le rôle de la famille dans la vie de l’individu a changé de façon radicale sur les 15 dernières années.
Il y a une décennie ou deux, la famille n’était pas encore nucléaire et tout le monde faisait un peu le «coaching» de tout le monde! Or ce rôle de «conseiller», que l’on attribuait aux membres de la famille elle-même et au-delà de la famille commence à diminuer.
On est devenu beaucoup plus individualiste, surtout avec la montée en puissance des smartphones, des ordinateurs, des réseaux sociaux,.. qui sont devenus en quelque sorte une nouvelle famille. Ce phénomène touche la personnalité de l’être humain.
On commence d’ailleurs à être de plus en plus à être dépendant des réseaux sociaux et à leur communiquer nos problèmes individuels. Or, en se refermant sur nous-mêmes, nous devenons vulnérables face à la dépression, à l’échec, aux névroses, etc.
Comment s’adapter à ces nouveaux changements dans la société en général et dans la famille en particulier ?
Il faut travailler pour que la famille regagne son rôle central dans la construction de la personnalité. Il y a également un travail à opérer sur les relations humaines. Cela suppose une confiance dans les différentes composantes de la famille ainsi qu’un investissement moral à opérer au sein de la famille.
On parle d’un concept très pertinent qui s’appelle la «banque émotionnelle».
Tout geste positif que l’on fait à l’égard d’une personne équivaut à un dépôt émotionnel, à l’heure où tout geste négatif équivaut plutôt à un retrait émotionnel.
Il faut comprendre que cette banque émotionnelle a toute son importance au sein de la famille où chaque membre d’une famille devrait capitaliser de plus en plus et donner ce qu’il peut pour les autres membres.
Dans tout cela, comment peut-on réussir à concilier vie de famille et projets personnels ?
Il s’agit d’une équation difficile. Il faut trouver un équilibre avec la famille dans tous les domaines : physique, religieux, professionnel, intellectuel, social, sociétal, etc. Ces domaines doivent être perçus comme de véritables batteries du développement familial. Si l’on cherche à être performant, il faudrait se recentrer sur la meilleure façon d’utiliser ces différentes «batteries». Cela suppose un travail régulier dans le temps avec une idée de «kayzen» (développement continu dans l’harmonie). Dès lors que l’on pense à nos projets personnels, il faut penser aux personnes qui sont en liaison avec nous (conjoints et enfants), et s’interroger sur l’impact que nos actions vont avoir sur eux. Il faudrait en parler et faire de nos projets personnels des pôles d’excellence pour toute la famille.
chiffres clés
26 ans, l’âge moyen du mariage
Aujourd’hui, les femmes marocaines se marient en moyenne à l’âge de 26 ans, soit près de 5 ans de plus qu’en 2000. Mais même si l’âge moyen a reculé, près de 150.000 filles se marient encore chaque année avant l’âge de 19 ans, soit 9% des mariages. 30.000 d’entre elles le célèbrent avant même d’atteindre l’âge de 18 ans, âge légal du mariage depuis l’adoption du code de la famille en 2004.
21% des mariages sont contractés
à l’intérieur des familles
Selon les chiffres du HCP, 21% des mariages contractés le sont à l’intérieur des familles (endogamie), soit environ 8 points de moins qu’il y a une quinzaine d’années.
50.000 divorces par an
Les statistiques font ressortir environ 56.000 cas de divorces répertoriés par an depuis 2009 et jusqu’à 2014. Ces chiffres sont en sensible augmentation par rapport à ceux enregistrés il y a une quinzaine d’années (ils étaient seulement 37.000 en 2000).
La mutation de la famille au Maroc s’est accomplie en un temps record ces dernières 15 années
Entretien avec Mohamed Chtatou, professeur universitaire et anthropologue
Quel regard avez-vous sur l’évolution de la famille au Maroc durant ces 15 dernières années ?
Il y a eu un passage de la famille étendue, au sens anthropologique du terme, à la famille nucléaire. Une famille marocaine moyenne comptait auparavant au minimum une douzaine de membres. Aujourd’hui, on en dénombre à peine quatre. Cela est dû à plusieurs facteurs : le Maroc a mené durant les deux dernières décennies une campagne en faveur d’une planification familiale qui n’a pas manqué de donner ses fruits. La contraception était en vogue il y a une vingtaine d’années déjà. Parmi les trentenaires et plus, qui ne se rappelle pas de la campagne appelée «Kinet Lehlale» ? (rires)
Et sur le plan économique ?
En plus de cette mutation démographique, on assiste également à une mutation économique. Les gens veulent vivre mieux et avoir de meilleures conditions de vie. Réduire les membres de la famille permet de vivre plus aisément. Leurs enfants bénéficient d’une meilleure éducation, d’un meilleur cadre de vie,… L’habitat a également changé. Auparavant, une majorité de la population vivait à la campagne dans des maisons patriarcales en pisé que l’on pouvait agrandir au fur et à mesure des besoins. Aujourd’hui, on s’installe dans des appartements que l’on prend à crédit, ce qui suppose d’avoir une famille avec des membres plus limités.
Ces mutations n’ont-elles pas fait perdre à la famille plusieurs de ses valeurs traditionnelles ?
Effectivement, plusieurs d’entre elles se sont effacées face à la modernité et à la modernisation de la société. Des valeurs économiques ont pris le dessus. Un autre phénomène a vu le jour : d’un côté, la laïcisation a progressé; de l’autre, l’islamisation a pris de l’ampleur et reste le résultat de la sécularisation. Nous avons également perdu une valeur très importante : la solidarité. Plusieurs institutions comme par exemple la «twiza» (travail collectif) n’existent plus aujourd’hui. Dans nos campagnes, nous sommes en train de perdre tout cela et nous avançons vers un individualisme de plus en plus marqué. Nous respectons aussi de moins en moins nos aînés, comme par exemple les maîtres d’école qui, il fut un temps, étaient érigés en véritables «prophètes». Aujourd’hui, ils sont loin de bénéficier des mêmes égards. Une autre évolution s’opère vis-à-vis des personnes âgés. Les maisons de retraite commencent à voir le jour dans notre pays alors que, par le passé, les familles prenaient en charge les aînés arrivés à un âge avancé.
Ces évolutions ne rendent-elles pas aussi la jeunesse plus autonome ?
Mettre ses parents dans une maison de retraite ou avoir moins de respect pour eux n’a jamais été une preuve d’autonomie. J’ajouterais que, sur le plan économique, beaucoup de jeunes n’arrivent pas à trouver un emploi et vivent toujours aux crochets de leurs parents.
Sur le plan éducatif, les jeunes n’ont pas été éduqués pour être autonomes. Le Marocain a toujours besoin des autres pour le conforter dans ses choix. Ainsi, l’autre jour à Rabat, un jeune m’a demandé l’heure à laquelle le train allait partir, alors qu’il était à proximité d’un grand panneau indiquant les horaires! (rires). Ce n’est pas qu’il ne savait pas lire, mais c’est juste qu’il n’avait pas confiance en lui. Dans les sociétés occidentales, l’autonomie est la première chose inculquée aux enfants.
Quelle place est accordée à l’enfant dans toutes ces évolutions ?
L’enfant n’existe pas dans notre société ou plutôt il est considéré comme une charge dans la famille et non comme une personne à éduquer pour l’avenir. Etre enfant, c’est être formé pour devenir adulte. C’est une formation permanente. Dès que l’enfant sait marcher, on devrait lui enseigner l’autonomie. Or, chez nous, celle-ci ne lui est inculquée que lorsqu’il va se marier et quitter la maison familiale! Même s’il a 45 ans et qu’il est toujours à la maison de ses parents, cet adulte restera un enfant !
Que pensez-vous des réformes juridiques qui ont été amorcées ces 15 dernières années ? Vont-elles dans le sens d’une famille différente ?
Oui, bien évidemment. La femme se voit désormais accordée plus de liberté, elle peut notamment décider de se marier ou non. Elle n’est plus obligée d’être chaperonnée par les parents pour se marier et je pense que c’est très positif. Bien sûr, nous n’allons pas voir tout de suite les résultats de ces différentes réformes, il faudra quelques générations avant qu’ils ne soient visibles. Les us et coutumes toujours en vigueur, ainsi qu’une certaine conception de la religion, retardent ces transformations. Cependant, grosso modo, les femmes deviennent plus indépendantes aujourd’hui et sont capables de prendre certaines décisions de leur propre chef.