Rien n’est plus complexe que de penser la notion de temps dont on ne sait s’il est illusion ou phénomène, s’il est même définissable. La conversation ouverte par Aliou Diack, Hasnae El Ouarga et Rero à l’occasion de leurs résidences à Jardin Rouge, est présentée du 31 octobre 2024 au 18 janvier 2025 à l’espace d’art de la Fondation Montresso. Tour à tour, les artistes s’évadent des dogmes pour venir explorer, dans un dialogue pluriel, les sémantiques du temps.
Énigmatique, troublant, le temps se dérobe du savoir pour Aliou Diack. Il est permanence, éternité dans le rapport à l’oeuvre de l’artiste. Son lien profond avec la nature lui permet de rompre avec la définition d’être et temps, il vient dessiner les interconnexions d’une autre humanité, il vient révéler un sortir de soi absolu. Au-delà de toute tentative de capture, l’artiste tire l’être de sa présence au monde pour poser la vision de l’être-vie, pour traduire dans ses tableaux la sublime harmonie des saisons, du cycle naturel des éléments de la Mère Nature. C’est à partir des secrets des plantes délivrés par son grand-père que l’oeuvre naît, le temps de la nature fait son oeuvre pour gratifier l’artiste de fragments de formes, uniques et mouvantes, vient ensuite la révélation d’autres beautés, des chimères sont alors tracées par la main de l’artiste. Tout au long de ses recherches et de ses révélations, Aliou Diack questionne des paradigmes qui n’admettent pas de début ni de fin, mais sont mouvements permanents. Il offre au regardeur une pause, active la capacité de méditation que la terre nous offre. Nous nous devons d’écouter cette quête, où la matière crée et l’homme fabrique. Aux sources du temps, le patrimoine est universel, l’homme dans une infinie sagesse ne serait que le passeur de cet héritage.
Le temps se présente à l’intelligence comme un champ mystérieux et indéchiffrable. Il nous renvoie une image illusoire du génie humain que Hasnae El Ouarga déconstruit dans un autre compagnonnage du temps. Définir l’essence du temps, c’est se confronter à ce qui nous constitue dans le plus intime, c’est aspirer à regarder l’entièreté du Cosmos, être les filles et les fils de l’instant. L’artiste habite et féconde son oeuvre ; sa pratique photographique la pousse à manipuler la matière pour redéfinir les contours de l’histoire naturelle. Les particules, soumises à la transformation par l’acte de l’artiste, ne sont alors pas indifférentes à l’avant et l’après. Le temps est pénétré, franchi, plié et devient interne à la matière. Hasnae El Ouarga déjoue la méthode et la systématique, pour dans un certain sens arriver dans le domaine de l’inattendu. En témoin, elle se confronte à l’histoire humaine, elle grave dans son oeuvre les récits et les écritures d’une iconographie silencieuse et peu perceptible. Elle nous chuchote les secrets du sacré, de l’immensité des réalités, dans une gestuelle somme toute élémentaire.
Tic, tac, tic, tac… voici l’homme, le temps est justifié par des objets que Rero détourne en se jouant du langage. Face aux oeuvres, l’expérience subjective du temps que nous faisons vient se confronter au concept objectif que nous en avons. Le temps est pensé dans une sémantique où l’artiste donne à voir l’ambiguïté du passé, témoin de nos histoires et réservoir de nos souvenirs, la fugacité de la conscience du présent, et pose dans le futur, l’expression de nos espoirs et de nos craintes. Les paradoxes formulés par le travail de l’artiste n’apportent pas de réponse mais questionnent les hybridités du temps. Ce concept à la flagrance familière, interrogé par Saint augustin, Pascal… et plus récemment par Francis Wolff manifeste la diversité des possibles. L’artiste agit Hors temps, les palimpsestes présentés font figurer la présence de l’être humain par les aphorismes déposés dessus. L’humanité a cherché très tôt à définir et mesurer le temps ; cependant, cette ambition porte l’évidence à la fois d’une certaine clarté et par là-même celle de sa propre contradiction. Dans toute cette complexité, il ne s’agit pas seulement pour Rero de s’enquérir des usages des notions temporelles qui imprègnent notre langage, mais de soulever des questions sur les affirmations de notre monde. Il se complait à remettre en cause nos préjugés et nos croyances pour réveiller en nous d’autres chemins de réflexion.
Rebelles à l’uniformité, INTERVALLE sonde et croise les abîmes du temps. Aliou Diack, Hasnae El Ouarga et Rero dans une installation éphémère, viennent en point d’orgue de leurs échanges, nous révéler quelques fragments de sens.
Aliou DIACK
Né en 1987.
Vit et travaille à Dakar (Sénégal).
Major de sa promotion à l’École Nationale des Arts de Dakar, Aliou Diack n’arrêtera pas de se distinguer par la puissance visuelle de ses oeuvres, un univers naturel créant l’apaisement par la manipulation de multiples médiums. Parsemer des graines au-dessus de ses oeuvres, planter un arbre à chacun de ses passages, Aliou Diack recrée un microcosme où les détails ne se donnent à voir qu’au plus proche de la toile on y découvre toute la subtilité de la première puissance. Sans s’enfermer dans les croyances et les traditions, Aliou Diack puise dans ses connaissances ancestrales pour soigner par l’art, des pigments de plantes médicinales transmis par son grand-père chaman, intégrant la nature et le mystique à sa création. Première résidence à Jardin Rouge, Aliou Diack a participé au programme IN-Discipline de la Fondation Montresso* en 2024. Son travail est exposé en Allemagne, au Sénégal, au Maroc. Il a participé à la Biennale de Dakar en 2022 et est sélectionné pour l’édition 2024. Ses oeuvres ont intégré les collections de la Fondation Blachère, de David H. Brolliet, Olym Collection, Collection Eiffage et JOM Collection.
Hasnae EL OUARGA
Née en 1993.
Vit et travaille à Marrakech (Maroc).
Diplômée de l’École Supérieure des Art Visuels de Marrakech, Hasnae El ouarga fonde ses recherches artistiques sur la complexité de l’image photographique. Questionnant ces images mentales que sont les photographies, Hasnae El ouarga engage alors un travail de déconstruction faisant la part belle à l’inconscient et aux resurgissements de souvenirs inattendus. Dans un processus de recherche inlassable, c’est finalement la pratique du cyanotype qui lui permet de trouver une voie de création singulière où nature et artifice s’immiscent sur les traces d’une mémoire invisible. Dans ce processus d’anamnèse, la pierre en tant qu’élément naturel devient le vecteur d’un passé inaccessible et toujours présent, tel un conteur d’histoires oubliées. Ses oeuvres ont été exposées à la Hannah Traore Gallery à New York et à la Galerie Jajjah à Marrakech et ont intégré les collections Rockefeller, Dior et celle de la Fondation Montresso* à Marrakech et du Musée National de la Photographie à Rabat. Son travail réalisé durant ses résidences à Jardin Rouge était exposé à la 1-54 de Londres, en octobre 2023.
RERO
Né en 1983.
Vit et travaille entre Paris (France) et Rio de Janeiro (Brésil).
A mi-chemin entre art urbain et art conceptuel, Rero interroge d’un côté le contexte de l’art, de l’autre les codes de l’image et de la propriété intellectuelle à travers un acronyme qui apparaît régulièrement dans ses oeuvres : WYSIWYG (What You See Is What You Get). Détournement et autocensure — il barre ses messages d’un épais trait noir — sont les maîtres mots de ses recherches sur la négation de l’image. Punchlines et aphorismes, trahison des images, jeux sémantiques et mises en pièces des nombreuses contradictions de l’époque. A la croisée des pratiques urbaines, du land art et de gestes conceptuels inspirés par Marcel Duchamp, Guy Debord et Roland Barthes, le plasticien questionne les rhétoriques de l’image, ainsi que la ‘chaîne flottante des signifiés’ qui s’y combinent. Intrigantes, lumineuses, riches d’une poésie moderne et transgressive, les oeuvres de Rero ont été présentées au 104, au MAC/VAL, au Centre Pompidou, à la Fondation Vasarely, au Grand Palais ou au MAC Bogota. Ses oeuvres sont représentées par la Galerie Backslash à Paris et la Galerie Fabien Castanier à Miami et ont intégré d’importantes collections publiques et privées, notamment la Collection Fluctuart, la Fondation Desperados, le Musée d’Art Moderne et Contemporain Mohammed VI et la Fondation Montresso*.