
©Houda Outarahout
Pendant les vacances d’été, la cohabitation familiale rime parfois avec frictions, surtout lorsqu’il y a des adolescents. Comment préserver le vivre-ensemble quand le cocon nucléaire éclate en « mini société » intergénérationnelle ? La psychothérapeute et docteur en psychiatrie, Mouna Outarahout, éclaire ce qui se joue, en particulier chez ces adultes en devenir.
«Il est admis que, face à un enfant, le rôle des parents consiste à contribuer au développement de la personnalité; face à un ado en revanche, les parents doivent répondre à cette personnalité !
C’est toute la difficulté.»
Pour certains ados, les réunions familiales sont des moments complexes où se jouent de nombreuses négociations… Les frictions sont-elles inévitables ?
C’est effectivement complexe, car les adolescents sont majoritairement traversés par de nombreux troubles, bouleversements et questions existentielles qu’ils doivent gérer pendant ces moments de proximité et disponibilité familiales intenses. Ces jeunes, qui ne sont plus des enfants mais pas encore des adultes, traversent un « no man’s land » identitaire. Ils se confrontent à des enjeux qui les dépassent, qu’ils portent souvent de manière inconsciente. Au sein de ces dynamiques transgénérationnelles, que sont les vacances en famille, les adolescents peuvent aussi porter des fardeaux émotionnels qui ne leur appartiennent pas – des deuils, des crises, des secrets parentaux – et qui peuvent s’exprimer ou s’exacerber lors de ces rassemblements…
Par ailleurs, l’un des principaux enjeux de l’adolescence est la quête d’identité, d’affirmation de soi, de différenciation personnelle. Il n’est donc pas rare qu’ils se mettent en porte-à-faux par rapport à l’autorité parentale ou au système de valeurs de la famille au sens large.
Est-ce l’un des passages obligés pour négocier son identité en construction au sein du groupe familial ?
L’opposition est clairement un mode opératoire chez l’adolescent. Mais durant les vacances en famille, avec oncles, tantes, cousins, grands-parents, le nombre peut également représenter un atout. L’adolescent en construction a sous les yeux d’autres référents, d’autres modèles identitaires… Plus la famille est « protéiforme », diversifiée, tolérante, ouverte, plus elle nourrit, enrichit — voire offre des refuges et des replis. Paradoxalement, les adolescents rejettent (les adultes et les enfants), tout en ayant d’énormes besoins – non dits – d’amour, de sécurité et d’appartenance. C’est un challenge parental immense. Il est admis que, face à un enfant, le rôle des parents consiste à contribuer au développement de la personnalité; face à un ado en revanche, les parents doivent répondre à cette personnalité ! C’est toute la difficulté ! Il faut comprendre que la famille est un socle pour l’ado, tout en représentant l’obstacle qu’il doit dépasser. Elle doit fournir un cadre contenant et « sécurisant », sans pour autant devenir étouffant ou enfermant. On marche sur un fil ténu : encadrer, laisser de l’espace, donner de l’amour… et foutre la paix.

L’adolescent, un adulte en chantier
Il cherche à s’affirmer, pas à obéir
À l’adolescence, on ne façonne plus un enfant : on apprend à dialoguer avec une personnalité en construction.
Il rejette… mais veut appartenir
Silence, provocation, distance : autant de signaux paradoxaux.
L’ado repousse, mais il a besoin d’amour, d’écoute et de reconnaissance.
Il a besoin d’un cadre, pas d’une prison
La famille doit être structurante sans être étouffante.
Offrir un espace sécurisant… sans le sur-contrôler.
Écouter sans juger
Cultiver une écoute active : reformuler, valider les émotions, éviter les conseils moralisants. L’important, c’est de garder le dialogue ouvert.
Vous évoquez souvent les enjeux de communication. Quels en sont les principaux défis et comment maintenir le dialogue avec les adolescents durant ces périodes ?
Là encore se logent des incompréhensions mutuelles : les parents / adultes veulent transmettre tandis que les ados veulent juste exister. Et de part et d’autres subsistent des craintes d’être rejetés, de ne pas être entendus… En vacances, alors même que l’on cherche à profiter de moments en famille, l’adolescent peut nous renvoyer dans les cordes, nous opposer mutisme ou provocation… Des réactions qui peuvent être douloureuses pour un parent. Il convient toutefois d’essayer au mieux de développer une écoute active, dénuée de jugements, de prendre le temps de reformuler les besoins de l’adolescent, et de se remettre en question pour respecter ses émotions. Ne jamais oublier qu’un ado reste un adulte en chantier… Et les pauses estivales – lorsqu’elles ne sont pas stressantes – sont des occasions propices pour installer de nouveaux réflexes. Malgré ses silences, un adolescent a un besoin vital de communiquer. Le dialogue doit toujours rester ouvert.
Quels conseils donneriez-vous pour des vacances harmonieuses en famille ?
Le mot d’ordre est « lâcher-prise ». Même au sein d’un grand groupe, les vacances doivent offrir des « espaces-temps » de liberté, a fortiori aux ados qui ne jurent que par la reconnaissance des pairs. Il ne faut pas attendre qu’ils rentrent dans des cadres préétablis… C’est également l’occasion pour les parents de sortir de leur rôle d’éducation pour exister en dehors de leur parentalité. Ainsi, les adolescents profitent – souvent inconsciemment – de ces moments familiaux où ils nourrissent un sentiment d’appartenance à une tribu, à quelque chose de plus grand.