À la Tour d’Éole, dans l’ombre lumineuse du lagon de Dakhla, le chef Ali Timouni cuisine en silence, avec pour seuls complices le feu, la terre et le temps. Portrait d’un artisan qui transforme la simplicité en émotion.
Chez Ali Timouni, la cuisine est un langage sans mots. Elle parle par textures, cuissons, silences. À Dakhla, il ne fait pas que nourrir. Il suspend le temps.
Au Chergui, le restaurant de plage de la Tour d’Éole, le vent marin semble suspendre son souffle. Sur la table, un petit pois explose en bouche, révélant un univers. Derrière cette fulgurance sensorielle : Ali Timouni. Il ne cherche ni la lumière ni les projecteurs. Il entre dans le cadre avec la retenue de ceux qui préfèrent l’écoute au discours. Ses gestes sont sobres, mais précis. Né à El Jadida, formé au Maroc, il a appris la cuisine comme on déchiffre un poème : par couches, silences et voyages.
Le jardin comme mémoire
Un matin, il nous mène au jardin. Là, sur une terre ocre frôlant le désert, poussent basilic thaï, shiso, géranium rosat. Ce potager conçu par le paysagiste Kévin Le Lièvre est aussi un carnet de souvenirs : chaque plante évoque un marché, une rencontre, un paysage lointain. Timouni parle peu, mais chaque mot a un poids. Une feuille touchée devient confidence : «Celle-là, je l’ai ramenée d’un marché à Hanoï…» Ici, la cuisine s’ancre dans le vivant, dans le dialogue muet entre les plantes et le climat.
Le feu, un partenaire
Derrière le restaurant, Ali a construit ses propres fours. Pas des objets design, mais des œuvres d’ingénierie artisanale. L’un, mobile, permet de moduler la flamme au millimètre. L’autre, massif, s’inspire du four traditionnel tafernout. Là, les légumes fument, les viandes confisent. Pas de démonstration : un rituel. Le feu, ici, ne domine pas. Il converse. Il accompagne la transformation.
La carotte, ce malentendu
Chez Ali, même une carotte devient sujet d’étude. Purple haze, blanche, fane courte ou longue : il parle de fibres, de taux de sucre, de réactions à la cuisson. «Ce n’est pas le même résultat selon que tu la cuis à l’anglaise, en rôtie ou en jus réduit.» Il la travaille comme d’autres sculptent le bois : glaçage au beurre noisette, infusion au poivre noir de Phú Quốc. Pas un accompagnement. Une recherche.
Le Jerda, un verre vivant
À table, un cocktail arrive. Le Jerda. Un jardin liquide. Des herbes fraîches, une poudre de paprika piquante qui reste aux doigts. Ce n’est pas un apéritif tape-à-l’œil. C’est un prélude. Un verre qui raconte l’avant : les ingrédients dans leur intégrité, la cuisine avant le couteau.
Silence, ça cuisine
Dans la lumière mouvante de Dakhla, Ali Timouni ne cuisine pas pour impressionner. Il écoute, il accompagne, il transforme. Quand on lui demande ce qui l’inspire, il répond simplement : «L’état de transformation. Ce moment où la matière devient autre chose.» Puis il repart en cuisine. Et laisse derrière lui un plat, un silence, un frisson.