Le Ramadan est bien plus qu’un simple mois de jeûne au Maroc : c’est un moment privilégié où les familles se rassemblent, où les valeurs de respect, de solidarité et de spiritualité se transmettent d’une génération à l’autre. Mais aujourd’hui, cette transmission ne se fait plus de la même manière. Les aînés perpétuent les traditions, tandis que les jeunes générations les adaptent à leur mode de vie moderne. Entre attachement aux coutumes et réinterprétations contemporaines, comment les différentes générations vivent-elles ce mois sacré ensemble ?
Les aînés : gardiens des traditions
Un Ramadan vécu dans la continuité
Pour les parents et grands-parents, le Ramadan reste indissociable de certaines pratiques immuables :
– Une spiritualité profondément ancrée : Les aînés privilégient les prières à la mosquée, notamment les Tarawih, et mettent un point d’honneur à respecter les heures de prière et les enseignements religieux transmis depuis des générations.
– Une cuisine empreinte de savoir-faire : Les recettes du ftour restent inchangées : la harira mijotée patiemment, les msemmen préparés avec soin et les chebakia façonnées à la main, souvent en groupe, renforcent le lien social et familial.
– Des moments de partage dans la maison familiale : Les aînés considèrent que le Ramadan doit être vécu sous le toit familial, en accueillant enfants et petits-enfants autour d’une même table.
Une patience face aux évolutions
Même s’ils restent attachés à leurs habitudes, beaucoup de grands-parents et parents acceptent peu à peu que les générations suivantes vivent le Ramadan différemment. Ils tolèrent l’usage des nouvelles technologies, bien qu’ils déplorent parfois que les écrans prennent trop de place durant les veillées. Leur défi ? Trouver des moyens d’impliquer leurs enfants et petits-enfants dans les pratiques traditionnelles sans imposer une vision figée du Ramadan.
Les parents : une génération témoin des changements
Un Ramadan entre
tradition et adaptation
Les parents, en tant que génération charnière, tentent de maintenir l’équilibre entre l’héritage des aînés et l’évolution des modes de vie des plus jeunes.
– Une organisation plus flexible : Avec des emplois du temps chargés, les parents marocains adaptent leur quotidien pour concilier le travail, la gestion du foyer et la pratique religieuse.
– Un ftour entre respect des traditions et modernité : Si certains plats sont incontournables, les parents introduisent aussi des alternatives plus légères et rapides à préparer, influencées par des habitudes alimentaires plus modernes.
– Un Ramadan connecté : La génération des parents est souvent active sur les réseaux sociaux, partageant des conseils, des recettes et même des rappels spirituels sous forme de courtes vidéos ou de discussions en ligne.
Un rôle de passeurs
de valeurs
Cette génération encourage les jeunes à jeûner en expliquant le sens profond du Ramadan, tout en leur laissant une certaine liberté dans leur manière de vivre cette expérience. Beaucoup de parents comprennent que les nouvelles générations ont des attentes différentes et tentent de les accompagner plutôt que de leur imposer un modèle rigide.
Les jeunes adultes : un ramadan réinventé
Un équilibre entre respect et adaptation
Les jeunes adultes, souvent pris entre leur attachement aux traditions familiales et leurs propres aspirations, façonnent un Ramadan qui leur ressemble :
– Une redéfinition des repas : Si le ftour reste un moment familial sacré, il est aussi l’occasion de tester de nouvelles recettes, souvent influencées par des tendances internationales et plus diététiques.
– Un Ramadan socialement actif : De plus en plus de jeunes organisent des ftours entre amis, participent à des événements culturels nocturnes ou s’engagent dans des actions de solidarité.
Une utilisation massive des nouvelles technologies
Pour cette génération ultra-connectée, le Ramadan se vit aussi en ligne :
– Les réseaux sociaux comme espace d’échange : Discussions sur les bienfaits du jeûne, partages d’expériences spirituelles, tutoriels de cuisine, défis sportifs adaptés au jeûne… tout se passe sur TikTok, Instagram et YouTube.
– Une spiritualité accessible en un clic : Podcasts religieux, applications de rappel de prières et plateformes de lecture coranique permettent aux jeunes de vivre le Ramadan à leur rythme, sans forcément suivre les schémas traditionnels.
Les adolescents et enfants : une approche ludique du ramadan
Une initiation progressive au jeûne
Pour les plus jeunes, le Ramadan est une découverte. Les parents et grands-parents mettent en place des stratégies pour leur transmettre les valeurs de patience et de spiritualité :
– Le « demi-jeûne » : Beaucoup d’enfants commencent par jeûner jusqu’à midi ou jusqu’au goûter avant d’adopter un jeûne complet en grandissant.
– Des encouragements motivants : Certains parents instaurent des petites récompenses symboliques pour motiver les enfants à tenir leur jeûne, comme un moment privilégié en famille ou un petit cadeau à la fin du mois.
– Des histoires et activités adaptées : Des livres illustrés, des ateliers et des jeux éducatifs permettent d’expliquer aux enfants la signification du Ramadan de manière accessible et engageante.
Une curiosité face aux nouvelles pratiques
Les adolescents, quant à eux, commencent à façonner leur propre vision du Ramadan :
– Attirés par les contenus numériques : Plutôt que d’écouter uniquement les récits des aînés, ils regardent des vidéos explicatives ou suivent des influenceurs qui partagent leurs expériences du jeûne.
– Une approche plus indépendante : Certains adolescents expriment leur envie d’expérimenter des recettes différentes du ftour traditionnel, ou encore de participer à des ftours entre amis.
– Ramadan et défis personnels : Sport, lecture, apprentissage d’une nouvelle compétence… les jeunes cherchent souvent à profiter de ce mois pour relever des défis personnels.
Paroles d’expert

Fouad Benmir
chercheur en sociologie
et homme de Droit
Les réseaux sociaux et les influenceurs religieux transforment-ils la relation des jeunes à la foi ?
Aujourd’hui, les réseaux sociaux et les influenceurs religieux jouent un rôle important dans la diffusion des pratiques religieuses. Ce phénomène d’individualisation, amplifié par l’accès immédiat à divers discours spirituels en ligne, transforme profondément la relation des jeunes à la foi. Tandis que certains renforcent leur religiosité grâce à des prêches en ligne, d’autres s’éloignent des traditions familiales, optant pour une approche plus personnelle du Ramadan. Il y a une rupture générationnelle. Il est indéniable que cette transformation génère une rupture générationnelle dans la transmission des valeurs religieuses et des traditions du mois sacré.
Le Ramadan est-il en train de devenir un événement commercial comme d’autres fêtes religieuses ?
Certains y voient une marchandisation du Ramadan, comme Noël ou le Nouvel An chinois. Le mois sacré se transforme en un moment stratégique pour l’économie, avec une forte consommation alimentaire et des campagnes marketing ciblées. Aujourd’hui, de plus en plus de Marocains optent pour le F’tour à l’extérieur, que ce soit dans les restaurants, lors d’événements ou même dans des espaces de coworking. Ainsi, certains perçoivent cette évolution comme une «sécularisation» du mois sacré, où l’aspect social et festif occupe parfois une place prépondérante par rapport à la dimension spirituelle. Malgré sa spiritualité, le Ramadan est parfois éclipsé par la surconsommation et la pression commerciale.