Ils n’ont pas gagné la Coupe du monde, mais ils ont gagné l’estime et le respect du monde entier. Retour sur l’incroyable épopée des Lions de l’Atlas, et de la belle leçon de courage et d’humilité, qu’ils nous ont donné.
Ils nous ont fait chanter, ils nous ont fait danser, ils nous ont fait rire, ils nous ont fait pleurer… Ils ont fait vibrer nos cœurs à l’unisson, comme jamais dans l’histoire du Maroc, depuis sans doute la Marche Verte. Au-delà du sport dans lequel ils se sont magistralement illustrés, ils ont donné au monde une belle leçon de courage et de solidarité. Et le Maroc se souviendra à jamais de ce mondial 2022, et de ces trois semaines de liesse nationale. A chaque fin de match gagné contre des équipes qu’on pensait infranchissables, Croatie, Portugal, Espagne, Canada, tous les Marocains à l’unisson ont investi les rues et les boulevards du pays, pour manifester leur joie, leur fierté et, une fois n’est pas coutume, leur union sacrée derrière le drapeau rouge à l’étoile verte, et leur appartenance à une seule et même famille. De véritables déferlantes humaines qui ont uni petits et grands, riches et pauvres, Marocains de l’étranger dans toutes les villes du monde, dépassant leurs différences, brisant les fractures sociales qui habituellement les divisent, pour faire la fête ensemble, dans le vacarme des klaxons, les feux d’artifices, des cris de joie et des chants. Même les mamies étaient de la partie ! « Eh ho, mabrouk a3lina » …
Les combattants
La baraka, vraiment ? Pas tout à fait. L’incroyable épopée des Lions de l’Atlas lors de ce Mondial n’est pas un coup de chance, mais le fruit d’une longue préparation, du coaching hors-pair de Walid Regragui, et des parcours individuels de chacun des titulaires, qui pour certains, reviennent de bien loin. En effet, qui sont-ils ces magnifiques athlètes, bien connus des férus de sport, mais que viennent de découvrir la plupart des Marocains. D’où viennent-ils ? Quelle est leur histoire ?
Parmi les Lions de l’Atlas, une bonne dizaine a fait carrière dans des clubs de football internationaux. Certains sont issus de clubs nationaux ou ont été formés à l’Académie Mohammed VI de football. Ils sont en majorité issus de familles de conditions matérielles modestes. A commencer par Achraf Hakimi qui confiait en toute humilité, « ma mère faisait le ménage dans les maisons et mon père était vendeur de rue. Nous venons d’une famille modeste qui se battait pour gagner sa vie. Aujourd’hui, je me bats chaque jour pour eux. Ils se sont sacrifiés pour moi. »
C’est aussi pour extraire sa famille de la misère que Soufiane Boulal décide un jour d’abandonner ses études pour se consacrer entièrement au football, avec la bénédiction de sa mère : « Maman, laisse-moi arrêter l’école et me consacrer uniquement au foot et dans un an et demi, tu n’auras plus besoin de travailler ». Elle n’a plus besoin de travailler.
Croire aux miracles
Le destin de Hakim Ziyech est le plus édifiant. Neuvième enfant d’une famille émigrée en Hollande, l’adolescent passionné de football sombre dans la délinquance et la drogue au décès de son père. Malgré tout l’amour qui règne dans la famille, le jeune Hakim est dépassé. Aziz Doufikar, son mentor, l’aide à se reprendre en main et à prendre conscience que son avenir, c’est bien le football. De rechute en rechute, c’est finalement la rencontre avec Mustapha Nakhli, son agent pendant douze ans, qui va le conduire sur la voie de la résilience, pour affirmer son âme de champion. Il décide enfin de se battre et de jouer.
Au final, ces garçons qui avaient des vies difficiles avant de devenir riches et célèbres ont donné une véritable leçon de persévérance, prouvant que rien n’est impossible, et qu’avec du travail et de la compétence, on peut changer les choses, bousculer les normes, pour réussir non seulement en sport mais dans tous les domaines. La capacité des Lions à connecter autant de personnes de différents horizons autour d’un désir commun de croire aux miracles, changer le jeu quand personne ne l’a vu venir, a mis en lumière le pouvoir du football en tant que force de changement social.
Rdat l’walidine : la famille, c’est sacré
Les images de nos joueurs dans les bras de leur mère, à chaque victoire emportée sur l’adversaire, en reconnaissance de tous les sacrifices endurés pour leur garantir un avenir, ont fait le tour de la toile, rappelant au monde entier l’importance de l’amour filial et de la solidarité familiale, valeur sacrée et toujours vivante de la société marocaine. Pas étonnant que la marque Adidas reprenne la photo d’Achraf Hakimi embrassant sa mère sur le front, et mettre en légende : « Wen family is everything ».
Il est vrai que la maestria des Lions de l’Atlas aura aussi été celles de ces mères marocaines qui ont su enraciner dans le cœur de leurs fils le sentiment d’appartenance au Maroc, malgré l’éloignement, le déracinement, et malgré toutes les tentations internationales. Ils ont fait le choix de mettre leur pays d’origine au-dessus de tout.
De père en fils
Les pères ne sont pas en reste, comme en témoigne cette image du père de Youssef En-Nesyri, ému jusqu’aux larmes d’avoir accompli lui aussi sa mission et voir son fils arriver au sommet de la gloire. Ou encore cette scène attendrissante qui a fait le tour de la toile, montrant Yacine Bounou passant ses gants à son fils et jouant avec lui au ballon sur le terrain, lors de la victoire contre le Portugal, en quart de finale. Ce qui avait fait dire à la Fifa, sur son compte Twitter : « Les filets de Yassine Bounou n’ont reçu que deux buts durant le parcours du Maroc en Coupe du monde. Le premier a été tiré par Nayef Aguerd contre son camp et le deuxième lors des célébrations de la qualification à la demi-finale, marqué par son fils. »
Ainsi, cette coupe du Monde au Qatar aura rappelé à l’humanité combien les parents et la transmission des valeurs sont essentiels. Qu’en les entourant et les chérissant, on arrive plus loin, même lorsque les pronostics nous donnent perdants.
La « niya » attitude de Walid Regragui
Ils se sont hissés au sommet du football mondial, à force de compétence, de volonté, de talent, d’intelligence et d’humilité. Et si le rêve fou de brandir la coupe à la face du monde s’est brisé au soir de la demi-finale contre la France, les Lions de l’Atlas nous ont bel et bien fait gagner une grande leçon d’humilité, la fameuse « niya » prônée par l’entraineur marocain. Lui-même ne visait que les huitièmes de finale, objectif largement dépassé, à force d’y croire et d’inculquer cette culture de la gagne et cette confiance à ses « oulidates ».
« Nous ne sommes pas venu pour faire de la figuration, nous sommes là pour gagner », répétant inlassablement aux supporteurs, « dirou nyia ! Que vous soyez au Maroc, au Qatar ou ailleurs, dirou niya comme d’habitude. De notre part, nous allons faire le maximum pour gagner ». Comme le soulignait le journaliste sportif Nas, Walid Regragui, c’était la pièce manquante du puzzle, « il représente le Maroc du futur, avec lui on a passé un cap, il a apporté cette niaque qui manquait, cette « grinta », et surtout, il a changé les mentalités. »
Au final, et comme le soulignait le New York Times, « quelle que soit l’équipe qui sortira triomphante, quelle que soit l’histoire qui sera transformée en destin d’une certaine manière, cette coupe du monde sera toujours celle du Maroc, celle qui a fait de lui un pionnier, un recordman, un filigrane qui ne s’effacera jamais. A partir de ce moment toute une série de réalisation seront toutes une première à partir du Maroc ».
Témoignages
Comme bon nombre de citoyens marocain, les internautes ont suivi avec passion les prouesses de l’équipe nationale au Qatar. Les meilleures déclarations.
Ce qu’il faut-il retenir de cette Coupe du Monde
«Ce que l’on retiens le plus de cette coupe du monde, au delà de la promesse des uns et des autres, c’est la relation des joueurs avec leurs parents, et particulièrement leur mère. Quand nous voyons, après la victoire contre la Belgique, Achraf Hakimi porter sa maman de joie ; quand on voit Soufiane Boufal embrasser sa mère avec autant d’amour et de ferveur, c’est impressionnant. Et les pleurs du père d’En-Nesyri, ou les paroles bouleversantes de la mère de Hakim Ziyech, quand il a quitté l’Ajax pour rejoindre Chelsea, lui arrachant les larmes aux yeux, «Prend soin de toi, soit un homme. Je t’aime, je suis fière de toi», c’est exceptionnellement beau à voir.»
Ridat al-walidine
«La relation avec les parents, et surtout la mère, est quasi fusionnelle ; elle est exceptionnelle. Les voir ainsi chérir leurs parents, avec l’expression d’un amour aussi vif, aussi beau, aussi puissant, c’est faire preuve d’exemplarité, pour les jeunes, pour tout le monde en réalité. On n’a pas vu les autres équipes faire cela, ce qui montre la particularités de nos traditions arabes, et particulièrement au Maroc, d’où l’expression «ridat al-walidine» (l’agrément des parents).»
La relation avec nos parents
«Si on veut aller loi, si on veut faire de nos rêves une réalité, n’oublions jamais d’où l’on vient, n’oublions jamais les anciens, surtout nos parents. Ce sont eux qui nous ont tout donné, qui nous ont éduqué, qui ont sacrifié leur vie pour que l’on puisse faire la nôtre. Les Lions ont su porter ces valeurs de manière visible et noble, et il faut considérer que c’est une deuxième victoire du Maroc. C’est un comportement fort de beauté et d’enseignement, et fort de motivation, car c’est bien auprès de nos parents, que nous puisons la force, afin de tout donner, et de faire de nos rêves, des réalités. D’avoir cette ambition qui nous fait grandir, comme grandira le Maroc, suite à cette épopée exceptionnelle.»
Ce que cela dit de nous, Marocains ?
«Le Maroc a fait la démonstration que c’est une équipe qu’il faut respecter sur le terrain, mais au delà du talent, du beau jeu, de la prouesse historique, c’est cette façon avec laquelle ils ont réussi à porter les valeurs de toute la tradition arabo-islamique, que l’on retrouve bien sûr en Afrique ou ailleurs».
L’Académie M6 : un vivier de talents
Le Maroc doit en partie son incroyable prestation à l’Académie Mohammed VI où ont été formés onze des 26 Lions de l’Atlas participant à la grand-messe mondiale du football. Alors que le football marocain battait de l’aile, ce centre de formation national basé à Salé et érigé sur 18 hectares, a vu le jour en 2009, à l’initiative du roi Mohammed VI. Très vite, l’Académie devient une pépinière de talents. Elle a fourni notamment Nayef Aguerd, Youssef En-Nesyri et Azzedine Ounahi, révélation du Mondial 2022, qui a fait dire au sélectionneur espagnol Luis Enrique, lors des huitièmes de finale, « Mon Dieu, d’où sort ce gars ? ».
Après la défaite du Maroc en demi-finale face à la France, l’ancien international marocain, Abdeslam Ouaddou, a déclaré quant à lui que « ce que produit l’académie Mohammed VI, n’est malheureusement pas suffisant. Il faudrait une dizaine d’académie sur le territoire. »